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MESSES NOIRES

pas connu ces soirs où la tristesse se fait en notre âme, si grande, qu’on semble n’avoir jamais connu l’espoir ? Qui donc certains matins ne s’est-il réveillé des larmes dans les yeux, après un souvenir ou bien après un rêve : Rappelez-vous alors combien la voix des grands poètes, la résignation des philosophes ou les promesses des théologiens vous faisaient oublier ces douleurs, ces tourmentes…

— Mais qui vous a révélé ces douleurs et ces tourmentes. Qui vous a dit : Tu vis, donc tu souffres ? Qui nous a rendus conscients de la tristesse ?… la pensée ! Ah, mon cher, il m’arrive quelques fois de regretter l’époque où nos ancêtres primitifs et incultes ne savaient rien. L’ignorance d’un côté, le soleil de l’autre. Voilà l’âge d’or, les brutes magnifiques !

Et cela est si vrai qu’en nous transportant aux temps actuels, les peuples, depuis l’instruction obligatoire, n’ont gagné avec les écoles qu’une recrudescence de misère et de mécontentement. Qu’importe le progrès s’il nous démoralise ? Arrière donc, l’idée, qui nous débauche et qui nous trahit — et vous rayerez du monde la moitié des maux et la moitié des crimes. Arrière, l’idée qui fait de nous des êtres compliqués, envieux et responsables. Chassez-la vers l’inconnu dont elle naquit, dans le mystère qu’elle a prétendu dévoiler, puis campez en face de ce fantôme, saine, vigoureuse, satisfaite et ingénue, la bête, la belle bête humaine !

— Peut-être…

— En tout cas vous voyez où nous mène le satanisme. Satan n’est autre chose que le premier monsieur mis à la porte du paradis, pour les douairières à chapelet. Pour d’autres, c’est l’homme, vous et moi que Priape