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LORD LYLLIAN

— D’accord. Mais voudrez-vous me dire ce que signifie égalité ? Vous supposez, dans votre comparaison, les deux plateaux de la balance au même niveau. L’égalité, mon cher, demande perfection. La perfection, c’est surhumain. Alors ? Alors… oh mon Dieu, je comprends la suite. Un des plateaux penche forcément, et nous en arrivons à choisir entre la matière et l’idée, entre la réalité et la chimère, entre ce qui existe et ce qui devrait être.

Eh bien, au risque d’aller au rebours de toute cette sentimentalité fausse, orgueilleuse et sotte qui nous montre l’idée comme seule capable de relever en nous les anges déchus, j’opine avec force, avec sincérité pour l’homme, animal vivant, dont le seul guide doit être la nature.

— Alors, si la cérébralité vous gêne, supprimez-la.

— Parfaitement. Entre un génie rachitique et un imbécile sain, je n’hésiterais jamais. Supposez même une intelligence supérieure dans une enveloppe bien constituée, cela n’ira pas au-delà d’une génération. Et nous obtiendrons, finalement, des malingres, des inquiets, des dégénérés, des fous. Donc c’est inutile à la race. Je compare le cerveau à quelque lampe dont les mèches profondes trempent dans nos organes et dans notre sang : que la lampe brûle avec intensité, elle consommera d’autant plus vite la réserve que nous avons en nous. Oui, mon cher Lord, la pensée est contraire à la vie !

— Elle la divinise pourtant et c’est grâce à la pensée que nous ne vivons pas uniquement pour manger, boire et dormir. Elle en console aussi, et, sœur de la souffrance, aide à supporter la lutte sur la terre. Lequel de nous n’a