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LORD LYLLIAN

Della Robbia fit signe et un boy chinois, ridé et preste comme une araignée, posa une boulette de pâte brune dans le fourneau minuscule des pipes… Pas vingt ans. Il est, je crois, le dix-septième ou le dix-huitième de ces lords Lyllian qui peuvent, depuis qu’ils existent (jolie, la musique, écoutez… c’est une danse croate) revendiquer toutes les célébrités.

— Presque fou, m’a-t-on dit…

— Vous, je vous le répète, vous êtes un diplomate. Alors, dans ce cas-là, comme vous jouez sur les mots — pardon, sur les sens… — Artiste ou fou, n’est-ce pas… ?

— Orphelin et colossalement riche ?

— Une Agence de placement, ma parole ! ricana le Prince Skotieff, en donnant une chiquenaude sur son manteau brodé.

— Et puis, murmura lentement Jean d’Alsace, qui jusqu’alors clignait de ses yeux en verrue et caressait des bagues qu’il avait comme ses yeux, et puis une insolence de connétable !… Joli avec ça, plus qu’un page de Mantegna. Une femme s’est tuée pour lui… en attendant les hommes. C’est votre type, Skotieff : Pas bête — oseur et poseur, une âme de byzantin ou de cabotin, sincère même lorsqu’il ment et mentant même lorsqu’il est sincère, naïf dans ses rosseries et rosse dans ses naïvetés, — disons littéraire par vice ou vicieux par littérature, il a fini par se croire le petit neveu… oh, le très petit neveu d’Alcibiade. Pour envelopper le paquet, un corps inquiétant à la Burne Jones, souple ainsi que celui d’un serpent, une tête railleuse et blonde de collégien qui se fiche de vous comme on se fiche d’un pion. Salez, poivrez et servez chaud. V’là le gosse !