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MESSES NOIRES

sous. Le couloir d’entrée ressemblait à celui d’un établissement de bains en faillite, et, de prime abord, nos compagnons d’infortune ne m’émurent point. Un soldat entre deux bonnes gambadait devant nous, tandis qu’avec des rires, un banc de maquereaux attendait la marée.

Mais, en débusquant dans la salle de bal, ô mon Prince, ce fut bien autre chose ! Nous fûmes annoncés par les murmures faisandés de vieux messieurs guettant leur proie, et nous tombâmes dans un grouillement de gens aux yeux fardés, aux lèvres rasées, gosses blêmes et larbins louches qui nous dévisageaient avec l’air de s’offrir. Jeunes débitants qui crèvent de faim, vieilles entôleuses retirées des affaires et qui s’exhumaient ce jour-là, c’était un ensemble macabre et grotesque, veule et farouche, une sodome transportée à la morgue.

» Nous avions fait un ou deux tours dans la salle. Je reconnaissais, ça et là, comme par enchantement, une foule de gens connus, magistrats, diplomates, fonctionnaires, venus là dans ce tout à l’égout pour représenter dignement la République. Ils se frottaient voluptueusement à la canaille. Et c’était, sous l’œil paternel des municipaux de garde, des gestes, comme ceux des fresques pompéiennes, des invites a posteriori, des massages affectueux. Dans un coin M. de Latrouille, le juge d’instruction qui s’est fait une spécialité des affaires de mœurs, (vous savez bien, Skotieff, il nous a coûté assez cher en étouffades, hein ?) M. de Latrouille, dis-je, livrait sa noblesse de robe aux embrassements d’un gras page Louis XIII. Une façon d’évoquer ses aïeux, n’est-ce pas ? Et puis, que diable… un lit de justice !… J’en étais là de mes philosophies quand, après avoir croisé le duc de