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LORD LYLLIAN

comme un ange, beau comme un diable, la tête guindée et fine sur la fraise historiée, deux perles aux oreilles comme des gouttes d’amour, favori de la grande reine, mignon d’Elisabeth.

Et ce svelte gentilhomme de velours au grand col blanc de point d’Espagne, tout en frisures et en dentelles ?

Oh, l’air délicieusement lassé qu’ont ses prunelles bleues, du bleu de la Jarretière qui brille à son genou… Le grand veneur du bon roi Charles, le bon roi d’Holyrood, le décapité de White Hall. Tout à côté, son fils, né en France à la cour des Stuarts, du chevalier de Saint-Georges. Comme il ressemble à Buckingham, effronté et charmant !

Puis voici le grand lord Archibald Renold, celui qui commandait les Highlanders à Fontenoy. Et sous la perruque blanche, les yeux luisent, galants et hautains. Les aïeux se rapprochent, la race se reconnaît. Et Renold distingue, dans l’ombre sans cesse grandissant, la silhouette héroïque et entêtée de l’amiral Lord, son trisaïeul, le meilleur lieutenant de l’immortel Nelson ; d’un autre, soldat, qui vit le feu pour la première fois à Waterloo et mourut vers 1840, ayant servi Georges IV, Wellington, Castlereagh et Blücher ; et voilà maintenant son grand-père, qui avait assisté, enfant encore, au couronnement de la Reine, de la petite Victoria aux yeux limpides, au sourire ingénu.

Et les cadres de chêne se resserraient. Dans le dernier, son père apparaissait, en habit de chasse, un fouet à la main, soucieux et méprisant. C’était bien l’expression que Renold lui avait connue lorsqu’il venait de s’asseoir en face de lui dans la salle à manger, éclairée de lueurs