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MESSES NOIRES

cette nature fruste et imposante, de ce pays de sauvage grandeur. Les ancêtres l’écrasaient. Il n’était plus de leur taille. On sentait que vaguement les choses méprisaient cet héritier maladif et névrosé, qui n’apportait rien à la gloire du nom. Et pourtant…

Lord Lyllian se retournait, brusque. Il dévisageait dans la haute galerie de vieux chêne les portraits des aïeux qui, dans les cadres tous pareils, semblaient maudire. Des lueurs suprêmes illuminaient la pièce.

Les Aïeux ! Un frémissement le parcourait à mesure qu’il les reconnaissait. Il savait leurs actions par les souvenirs que lui en avait raconté sa mère, les soirs de veillée, quand elle l’endormait sur ses genoux.

Celui-ci, le fondateur, dont on n’avait que le primitif buste en pierre, était venu de Norvège avec d’autres pirates. Trouvant la place bonne, il était resté là. Et le désir de conquête, de bataille et de lucre se lisait, grossièrement sculpté sur les lèvres inertes, sur les yeux sans prunelles. Il avait dû être le barbare féroce et sanglant, l’écumeur des mers, le violateur des temples et des églises, le détrousseur des naufragés. Avant de mourir, il s’était fait chrétien, le Roi d’Écosse lui avait donné des terres et des chiens ; maintenant il était le chef d’une lignée illustre, idéalisée par les siècles.

Cet autre, deux cents années plus tard, avait combattu dans la guerre des Flandres. Plus loin, celui-là était représenté comme un géant foulant aux pieds de minuscules ennemis… Il guerroyait à Crécy. Les blasons se chargeaient, toujours aussi beaux, toujours aussi altiers. Un autre encore, plus mince et l’œil plus cruel, avait dû railler Warwick et porter la rose rouge ; plus loin c’était John Henry, dixième du nom. Jeune