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LORD LYLLIAN

grâce auquel il passait le seuil, n’osant pas regarder, n’osant pas voir. Et puis tout d’un coup la peur elle-même lui dessillant les paupières…

Sur le lit, Ansen raidi déjà, les mains jointes, les yeux bleuis avec l’expression contractée, railleuse et hautaine des morts. Un bruit de larmes, de prières… Dire qu’il avait aimé ce corps inerte… Et la mère de l’enfant qui allait venir… Ô mon Dieu !

Ici, tout évoquait un autrefois douloureux, un autrefois enseveli. C’était sa jeunesse innocente, qui jouait avec les oiseaux du parc. Son père, vêtu de noir, qui le caressait doucement d’une main légère. Sa mère, trop peu connue, déjà oubliée. Les premiers émois… Edith Playfair… les parties de cache-cache… Il restait seul au monde… Le duc de Cardiff… la comédie à Swingmore… Lady Cragson… Harold Skilde… oh ! comme celui-là vivait encore dans ces murs… Les premiers désirs… les premiers départs. Et c’est ainsi qu’on gâche sa vie !

Il était revenu à Lyllian Castle, mais, bah, en étranger, avec une âme nouvelle, ou plutôt sans âme, ayant laissé la sienne en déroute, en lambeaux par les chemins, blasé de l’existence, ne croyant plus en elle.

Et penser qu’il avait frémi d’enthousiasme et que la terre lui semblait trop petite pour contenir ce qu’il voudrait aimer !… Il était revenu à Lyllian Castle…

Il avait retrouvé le même château somptueux et triste se reflétant dans le même lac immobile… Le pays n’avait pas changé, les forêts étaient demeurées pareilles, l’horizon où maintenant s’éteignait le soleil estompait toujours sa ligne bleue sur les nuages ; le pays n’avait pas changé et pourtant il n’était plus le même !

Et puis Renold se sentait mal à l’aise au milieu de