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LORD LYLLIAN

lian… ne faites pas d’imprudence. Un refroidissement peut vous tuer…

— Bah, maman Elsa peut me guérir. Je ne suis plus du tout malade.

Et, preste en effet comme s’il n’avait rien eu, Ansen sautait en bas du lit. Là ses efforts le trahirent. La tête lui tourna en posant les pieds sur le parquet et il dut se retenir en gémissant au chambranle de la porte.

— Allons, recouchez-vous, Axel, ou je m’en vais…

— Restez, restez, ce n’est rien… je veux jouer cet air ! Il me semble que maman Elsa l’entendra sur sa route, que maman Elsa viendra plus vite.

Il passait un vêtement léger et se traînait vers le piano.

— Tout à l’heure, j’avais prié Lorenza d’ouvrir les fenêtres, de chasser cette ombre que je hais, cette ombre qui me fait peur.

Oh, soleil éblouissant, soleil radieux, — continuait-il, — soleil tiède comme les caresses d’amour et brillant comme un regard d’ivresse, entre dans ma chambre ainsi qu’un roi vainqueur, disperse à tes rayons la nuit vacillante… je suis ton adorateur, je suis ton amant !…

Il s’animait, recouvrait soudainement des forces qu’on eût dit perdues, se raidissait contre le mal et, jeune comme Renold, les yeux étincelants, ouvrant la fenêtre d’un seul geste, il demeurait là, immobile, tourné vers la mer, en extase, dans une fête de lumière.

Il était réellement beau ainsi. Son fin profil imberbe, ce profil d’adolescent du Nord avec la chair translucide des races de génie apparaissait plus pur encore sur ce décor d’émail bleu. Lord Lyllian s’avançait sur la pointe des pieds, saisissait Axel par surprise, lui renversait la tête sous ses lèvres.