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LORD LYLLIAN

l’a prévenue. Elle a quitté son enfant pour lui mieux gagner du pain. Et, toute émue encore de chanter sur un berceau, elle me console de son mieux, en patois du pays, ce patois parfumé d’orange et de lumière.

Si vous la voyiez avec mes fioles, avec mes tisanes… Elle est à son affaire, comme pas une… Et son air si content lorsqu’elle me tend une lettre de Suède… Eccho, della Madre !… Quel large et bon sourire… il me fait plus de bien que les drogues du docteur…

Il s’arrêta, épuisé, devenu subitement plus pâle qu’un linge, les yeux atones, le nez pincé. Une courte respiration sifflait entre ses lèvres. Lyllian, plus bouleversé qu’il ne voulait le paraître, s’asseyait près du lit et prenait la main défaillante qui gisait dans la pénombre…

— Le docteur, continua Ansen… le docteur ne comprend rien à mon cas. Il me répète : du repos, du calme ne pensez à rien, oubliez le passé, oubliez surtout l’avenir… Les bronches vont mieux. Ce qui ne va pas, ce sont les nerfs, ce sont les rêves ; et il me quitte chaque fois en me disant…

— Mais il est très fort, au contraire, votre docteur.

— Il me quitte en disant : Ne pensez plus, chassez ces vilaines imaginations… Je sais ce qu’il appelle ces vilaines imaginations…

— Toujours est-il…

— Qu’il ne peut pas m’empêcher, lorsque je suis seul dans cette chambre aux persiennes closes — encore un ordre de lui, comme si le soleil allait me faire mourir — d’écouter l’été, la joie et la vie chanter au jardin clair ; d’évoquer le moment où je recommencerai bien doucement à contenir un peu de cet été, de cette joie et de cette vie dans mon âme heureuse, et de rêver à vous.