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LORD LYLLIAN


Et lorsque l’on viendra entr’ouvrir nos tombeaux,
Après qu’auront vibré les derniers cris de fête,
On trouvera mêlés aux cendres du poète
Ton cœur toujours vivant et tes yeux toujours beaux !

Une horrible quinte étouffait le jeune homme et Renold, très inquiet, lui ordonnait maintenant de rentrer. Pourtant un souffle tiède s’était levé qui venait de la mer et au delà de la mer. C’étaient des effluves énervantes et musquées, comme une fragrance trop forte de mimosa mêlée à l’odeur des vagues. Axel Ansen, grisé par ses vers, respirait avec délices et, la lune limpide et rose s’étant levée à l’Orient, il la regardait avec des prunelles magnétiques.

— Jamais nous n’avions connu des nuits comme celle-là, se répétait-il, ainsi que dans un rêve… Et subitement s’adressant à Renold… Regarde comme elle est belle, la douce Phœbé, ce soir ! on dirait qu’en Orient elle est allée se vêtir de perles pour nous sourire plus doucement. Dans mon pays elle est si pâle et si lointaine, que je la regardais telle qu’une étrangère, comme un astre trop haut pour moi.

Dans mon pays je parlais aux étoiles quand j’étais triste ou fiévreux ; je parlais aux étoiles qui tournaient vers moi leurs yeux apaisants… Mais la lune semblait morte et je me détournais d’elle. Regarde-la, au contraire. Elle est pareille à un beau visage qui nous contemplerait d’un air mélancolique… Ce n’est plus la planète éteinte qui se réchauffe aux feux du soleil. C’est un autre soleil, c’est un monde indépendant et vivace qui ne paraît adorable qu’aux poètes et qu’aux fous, qu’aux enfants et qu’aux amoureux !…