raclaient à percer le tympan d’un quinze-vingts. J’eus la constance d’aller toujours mon train, suant, il est vrai, à grosses gouttes, mais retenu par la honte, n’osant m’enfuir et tout planter là. Pour ma consolation, j’entendais les assistants se dire à l’oreille ou plutôt à la mienne, l’un : Quelle musique enragée ! un autre : Il n’y a rien là de supportable, quel diable de sabbat !… Mais ce qui mit tout le monde de bonne humeur fut le menuet. À peine en eût-on joué quelques mesures, que j’entendis partir de toutes parts les éclats de rire. Chacun me félicitait sur mon joli goût de chant : on m’assurait que ce menuet ferait parler de moi et que je méritais d’être chanté partout. Je n’ai pas besoin de peindre mon angoisse, ni d’avouer que je la méritais bien. »
Ce trait d’inconcevable folie ferait presque excuser quelques-unes des méchantes actions de la vie de Rousseau, car on peut supposer, d’après cela, qu’il n’a jamais eu la plénitude de sa raison, et que ses beaux ouvrages, comme ses quelques bons moments, n’étaient que des éclairs échappés dans ses intervalles de lucidité et de bon sens.
Après une telle équipée, il n’y avait guères moyen de soutenir le rôle qu’il avait entrepris : il y persista cependant ; les écoliers ne furent pas nombreux, mais il en vint quelques-uns. C’est qu’à cette époque les maîtres de musique étaient si rares, qu’on jugeait que celui qui la savait mal était encore capable de l’enseigner à ceux qui ne la savaient pas du tout.
Cependant, les gains que Rousseau put faire à Lau-