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LE SERPENT NOIR

de Keryannic ? Je m’informai de Belle-Île. On m’assure que les routes, sauf une seule, détraquaient les automobiles. En ce moment-là, j’essayais les moteurs et les vitesses de ma Brazier à quatre cylindres. M’en séparer quarante-huit heures m’eût trop désolé. Aussi n’hésitai-je point à retarder l’excursion.

D’autre part, Goulven m’avait toujours marqué de la froideur. Il est de ceux qui somnolent au tic-tac de leur vertu. Mon énergie lui déplaît. Au quartier latin, il me reproche souvent de renchérir, lors du poker, si j’avais en mains les belles cartes, sans me préoccuper de nuire aux joueurs distraits ou pauvres. Je me rappelle encore ce blâme qu’il formulait, très calme, en souriant. Une fois il se permit d’ajouter que, dans la vie, j’agissais de même. Il ne me pardonnait pas d’avoir bruyamment invoqué mon titre de licencié ès sciences physiques et naturelles, pour supplanter l’ancien préparateur du laboratoire, vieil homme qui, simple bachelier, remplissait cette fonction, par tolérance, depuis des années fort nombreuses, et qui en subsistait platement. Moi, je voulais vivre aussi. C’est ce que tous les Goulven refusent de comprendre. Mais je n’ai jamais perdu mon temps à nourrir contre eux de la rancune. La vengeance est une occupation de rêveur et de paresseux. Peuple de lazzaroni, les Italiens sont vindicatifs. Des méfaits qui m’atteignent je tire un enseignement. Mon ennemi m’instruit de mes points vulnérables. Loin de le haïr, je le remercierais. Néanmoins je n’entends pas rendre le bien pour le mal. Ce serait reconnaître qu’on m’a réellement lésé. On ne me fait pas de mal. Personne ne m’a jamais fait de mal. Quelques—uns m’ont démontré mes faiblesses. Voilà