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rêves de grandeur légitime. Riches, instruits, apparentés, ils se fussent soumis à l’ordre des choses. Ils n’eussent pas « mâché du fer ». Omer désirait lire sur leurs visages la joie de leur noblesse qui défiait le tyran, et qui bravait le supplice. N’éprouvaient-ils pas la jouissance sublime du jeu, à cette heure où il leur était licite de douter encore si la gloire ne remplacerait point l’infamie promise de l’échafaud, et s’ils ne posaient pas le pied sur le premier degré d’une longue vie d’honneurs d’acclamations saluant leur tâche exemplaire ? Ils risquaient leurs têtes en soldats, pour un drapeau, pour les trois couleurs de la République. Ils étaient géants. Ils étaient heureux de se concevoir ainsi.

Comme il traversait la cour, il avisa maintes polonaises à brandebourg et maintes paires de bottes à cœur habillant les demi-soldes qui faisaient retentir contre le pavage les épées contenues dans leurs cannes. Des jeunes gens négligés, avec des gourdins sous le bras, se parlaient dans les mèches recouvrant leurs oreilles. Par ostentation, des messieurs dépliaient au large leurs journaux. Au seuil des portes, il tenta de se frayer passage dans une masse de personnes murmurantes. À la vue d’un gendarme, il comprit qu’on barrait le chemin. Quelques-uns protestaient, disant :

― La loi exige la publicité des débats judiciaires… On doit nous laisser entrer dans la salle des assises.

― Ils ont fait remplir les places du public par des gardes du corps en bourgeois et par des mouchards, avant l’ouverture de l’audience.

― Monsieur, c’est toujours la même chose !

― Et après on nous déclare qu’il ne reste pas de quoi caser une nèfle !

― Le crime n’aime pas les témoins.

― Messieurs, veuillez descendre, et parler plus bas ! ― pria le militaire, honteux entre ses favoris.

Omer vit bien qu’on ne lui permettrait pas de pénétrer