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titutionnels espagnols. En se nettoyant le nez, Calchas prédit que la guerre éclatera partout entre les tyrans et les peuples, car, à Naples, les vainqueurs autrichiens et le roi de plâtre emprisonnent, torturent, décapitent quiconque a une conscience ou un nom, comme s’ils entendaient mettre à bout les plus timides de ces carbonari livrés soudain aux soldats de Vienne par la trahison du duc de Calabre, leur frère et ami. Ton parrain a raison : notre confiance dans les princes nous perd. Je finirai par devenir une espèce Spartacus, un babouviste, je ne sais quoi, maintenant que l’Empereur empoisonné par le mauvais air de Sainte-Hélène, est mort. Ah ! S’il avait suivi le nègre que nous lui envoyâmes en 1817 ! Tout eût réussi. Notre trois-mâts ramenait Napoléon en Europe. Le grand homme n’a pas consenti. Il exigeait que la France le rappelât d’elle-même, et toute entière. Ô ingratitude humaine !

« J’ai laissé ma femme dans notre maison de Saumur. Ta sainte mère eût imposé trop de dévotion à Graziella, qui est déjà bien assez bigote au naturel. D’autre part, je ne pouvais l’amener ici : on se coupe trop le cou à droite et à gauche. Sur le mur de la douane, devant le sabord de ma cabine, neuf têtes de turcs saignent, pendues à des crampons. Triste spectacle pour une femme grosse, encore qu’il ne semble pas déplaire aux hirondelles qui effleurent de l’aile ces grimaces livides et crient gentiment alentour. En outre, la chaleur est accablante. Les mouches bleues recouvrent les tranches d’orange avant qu’on ait fini de les couper. Les cadavres amoncelés dans les fortifications de la ville, depuis qu’elle a été prise par les hétéries, dégagent une odeur intolérable. J’ai fui Mitylène à toutes voiles, pour cette même raison. Une fois les morts dépouillés, on les mutile, puis on les laisse pourrir à l’air, par un esprit de rancune vraiment démesurée. Chacun les insulte en passant, fait des ordures sur eux. Les enfants