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toute sa personne. Au fond du tableau, on reconnaît la chaumière qui va paraître blafarde comme un fantôme. Un pommier, à droite, est courbé par les autans furieux. Quelques épis éloignés brillent encore là-bas. Déjà la nuit funèbre a tout enveloppé de ses voiles. Le moissonneur s’essouffle ; il élargit l’ouverture de sa large chemise fendue au col, relevée sur les bras musculeux comme ceux de l’athlète antique. Son visage, qu’abrite un chapeau de paille, respire à la fois l’énergie et la douleur la plus vive. Toute l’image est noire et grise, sauf à la chemise blanche de l’homme, aux pupilles de ses yeux et à la façade de la chaumière. Au-dessous, ce titre, l’Orage, apparaît en beaux caractères larges que de frêles hachures teintent obliquement.

Combien de fois Omer, ému par le chagrin de ce pauvre homme, s’était arrêté devant la boutique du libraire, sous les arcades de la Petite Place, aux piliers trapus ! Et voilà que l’image se faisait réelle. Cela le surprit. Un décor digne d’être gravé, pour l’admiration de l’avenir, se formait à propos quand il embrassait de si grands desseins. Le paysage s’accordait avec les tempêtes de son âme qu’il prévit forte en dépit des appréhensions.

La nature épousait, semblait-il, son courage. De ce hasard, naquit une belle idée de lui-même et de ses destins. Il s’exalta pendant une demi-lieue. Après que les premières gouttes se furent figées dans la poussière, on s’arrêta pour déplier les pèlerines, au pied d’un calvaire. L’écume bordait les rênes des chevaux, et la mousse filait des mors. Ils piétinaient, impatients. Les mouches s’acharnèrent à leurs croupes. Le major Gresloup arracha une poignée d’herbes et bouchonna son rouan, qui prêta les flancs à l’opération, satisfait. Omer imita le vaillant officier. Comme il se relevait en claquant l’encolure de sa jument, le tapecu jaune du lieutenant-drapier parut sur la route royale qu’ils venaient