Page:Acker - Petites Confessions, sér1, éd3.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bons, sa barbe grisonnante et régulière, son ventre important, à un Anglais confortable et à un Scandinave puissant, je devins subitement muet.

— Enfin, dit-il, que voulez-vous que je vous raconte ? C’est tellement difficile, quand on n’a pas l’habitude d’écrire, de rendre sa pensée par la parole. Je ne sais pas, moi, il me faudra chercher mes mots, et ils me fuiront.

Les mains dans les poches du veston, M. Besnard allait et venait, soucieux et ennuyé. Ses hésitations et ses craintes, que je reconnaissais trop bien, me rendirent le courage et la voix :

— Un peintre, fis-je, plus que tout autre, a des histoires à conter. Vocation contrariée, parents indignés, charges de l’École, premiers succès et premières jalousies, la mine est inépuisable... Si vous vouliez...

M. Besnard s’était arrêté, caressant sa longue barbe d’un geste méditatif :

— Ma vocation ! dit-il, mais, si loin que remonte ma mémoire, je me vois décidé à être peintre. Il y avait bien ma famille qui me destinait aux consulats, mais j’étais un si mauvais élève, et puis j’étais résolu à entrer aux Beaux-Arts ! Mon père lui-même, d’ailleurs, était un élève d’Ingres. Un homme a exercé sur moi à cette époque de ma vie, une influence profonde : c’est Jean Brémond. Celui-là fut mon maître et mon ami. Il était arrivé vers 1830 chez M. Ingres, qui l’avait assez mal reçu, en apprenant qu’il avait déjà peint des tableaux et qu’il en tirait quelque vanité : « Si