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LES DEUX CAHIERS

troisième République, on dirait, comme du premier Empire, ou de l’ancienne monarchie : jadis.

Le soir même, tandis que sa fille et son gendre gagnaient, par l’Espagne, le Maroc, Mme Desaulmin, tous ses cahiers en pile devant elle, commença…

II

… Je suis née le 12 juillet 1861, en Basse-Alsace, dans notre propriété de Ringen. Mes parents s’y rendaient chaque année dès le début de juin et y demeuraient jusqu’en novembre — mon père, qui était agent de change, coupant sa longue villégiature par quelques voyages à Paris.

Je suis née ainsi dans une vieille maison alsacienne, au grand toit incliné et couvert de tuiles rougeâtres et moussues, où la vigne vierge, courant partout, enlaçait jusqu’aux festons du pignon, une vieille maison construite au dix-septième siècle, agrandie au dix-huitième, et qui gardait sa vénérable et charmante galerie à rampe — et ainsi les premiers objets qui frappèrent mes yeux forent des arbres, des fleurs, la rivière qui encerclait le parc, les prés magnifiques qui le prolongeaient, et, plus loin, les grands rochers de grès rose éventré que la forêt couronnait — et ainsi encore mes premiers pas ont tremblé sur la route blanche que bordaient les sorbiers, les cerisiers et les quetschiers. La nature m’entourait et me pénétrait, sans même que je m’en doute, et me formait une âme ardente et naïve à la fois. J’ai été bien étonnée quand, plus tard, j’ai entendu dans le monde des gens qui semblaient sages admirer ou féliciter quelqu’un, parce qu’il avouait aimer la nature : « Ah ! vous aussi, lui disait-on,