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discours de réception.

une nouvelle preuve de son estime au jeune citoyen qu’elle avait initié de si bonne heure à la vie politique. Pichegru venait d’obtenir un brillant succès sur l’armée autrichienne ; il avait repris les lignes de Weissembourg : l’Alsace était sauvée. La Société populaire se souvint des allocutions que le Sénat de Rome adressait à ses consuls victorieux. Pour complimenter l’heureux général et ses braves volontaires, une députation fut nommée, dont Charles Nodier fit partie. Accueilli par Pichegru, il passa quelques jours auprès de lui dans les environs de Strasbourg, goûtant le plaisir délicieux, à son âge, de voir de près un camp, des canons et tout l’appareil de la guerre. Alors, sans doute, plusieurs de nos grandes figures républicaines passèrent devant ses yeux. Il en retint quelques traits, qu’il a reproduits avec bonheur dans ses Souvenirs de la Révolution.

Parmi les hommes qui exercèrent sur l’enfance de Charles Nodier la plus grande et la plus utile influence, je ne dois point oublier un vieux gentilhomme, officier du génie, homme d’esprit, de savoir, véritable philosophe pratique à la manière de Xénophon. À Besançon encore, on ne parle de lui qu’avec attendrissement. M. de Chantrans, c’était son nom, avait remarqué les dispositions singulières du jeune Charles, et prenait plaisir à les cultiver. Il lui prêtait des livres, il satisfaisait à son inquiète curiosité, et, dans de longues promenades, il développait chez l’enfant le talent inné de l’observation, en lui inspirant un goût précoce pour l’étude de l’histoire naturelle. M. Nodier a fait, dans Séraphine, un portrait délicieux de ce sage qu’il chérit toute sa vie ; portrait d’une ressemblance achevée, et le seul, m’a-t-on dit, qu’il n’ait pu embellir.