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discours de m. mérimée

Plutarque. – Je ne sais d’ailleurs si toutes les fictions de l’homme de lettres furent volontaires, si, en s’abandonnant à son imagination, il ne crut pas quelquefois consulter sa mémoire. Tel que ces preneurs d’opium de l’Asie, moins sensibles aux impressions extérieures qu’aux hallucinations du breuvage enivrant, il s’était accoutumé, dans la solitude, à vivre parmi les créations de sa fantaisie comme au milieu des réalités. Souvent ses brillantes rêveries se confondirent à son insu avec les souvenirs moins attachants des scènes du monde qu’il avait traversées. Poëte, il ne pouvait comprendre le travail ingrat du chroniqueur. Pour moi, Messieurs, c’est la tâche dédaignée par M. Nodier qui me reste en partage aujourd’hui. Je ne l’ai malheureusement connu que dans ses ouvrages, mais je me suis appliqué à recueillir de toutes parts des détails exacts sur sa vie. L’esquisse que je vous présente est bien imparfaite sans doute ; grâce à de bienveillantes communications, j’ose du moins la croire fidèle.

L’éducation que M. Nodier reçut, tout enfant, dans la maison paternelle, en décidant de sa vocation, eut la plus grande influence sur sa carrière littéraire. Il me semble que son style, sa méthode, étaient déjà formés, à une époque où la plupart des gens de lettres s’ignorent eux-mêmes. Qu’il me soit permis d’appeler votre attention sur ses premières années.

Il naquit à Besançon en 1780. Son père, avocat distingué, ancien professeur à l’Oratoire, fut longtemps son seul maître, et jamais précepteur plus tendre n’eut un élève plus heureusement doué. Le précepteur impossible d’Émile était trouvé cette fois. Il s’efforçait de hâter le développement de cette jeune intelligence ; il voulait donner à un enfant les

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