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crainte. Ils rêvent tous de réaliser un gros bénéfice qui les payera largement de leurs peines, mais ils savent aussi qu’ils travaillent peut-être pour rien. Le destin des affaires est si capricieux qu’un homme intelligent et probe peut se ruiner en travaillant, perdre dans l’espace de six mois le fruit de vingt années de labeur, son patrimoine, sa réputation d’honnête homme, tout enfin, sauf la vie et la liberté. C’est donc pour ainsi dire un instinct de légitime défense qui le pousse à tout vendre aussi cher que possible, à tout payer aussi bon marché que possible. Le contre-poids de cette tendance est dans l’énergie de la partie adverse. Le consommateur se défend contre les prétentions exorbitantes du vendeur ; il va au bon marché et donne la préférence au marchand qui se contente du moindre salaire. Le petit producteur se défend à son tour contre l’avarice des entrepreneurs. Il se met aux enchères et vend ses services au plus offrant. De tous ces mouvements en sens inverse résulte un équilibre instable : la liberté industrielle a ses fluctuations comme l’Océan, et quelquefois ses tempêtes.

Or tout le monde n’a pas le pied marin. Si l’esprit d’aventure et un tempérament robuste entraînent quelques milliers d’individus à doubler le cap de Bonne-Espérance, il y en a des millions qui