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APPENDICE.

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occupations auxquelles je suis la plupart du temps, pour ne pas dire tou- jours, obligé de céder, ne me l’ont pas ]>ermis. Mais, dès le premier jour de relâche que j’ai trouvé au milieu de ces tracas, j’ai mis la main à ce que j’avais résolu. Je voulais an moins reconnaître par mon empressement les sentiments que me témoignaient votre lettre, ainsi que les présents d’hos- pitalité que vous m’avez antérieurement adressés ; je voulais vous montrer quelle place j’avais réservée dans mon cœur à l’affection que je vous porte en Jésus-Christ. Et ce n’est pas d’aujourd’hui que date cette affection ; elle remonte fort loin dans mes souvenirs.

Je n’avais pas franchi les bornes de l’adolescence, je n’étais pas entré dans les années de la jeunesse, quand votre nom parvint à mes oreilles ; ce n’était pas encore votre profession religieuse, mais votre si honorable et si louable goût de l’étude que signalait la renommée. J’entendais dire alors qu’une femme, encore retenue dans les liens du siècle, se consacrait à l’étude des lettres, et, chose rare, de la sagesse ; et que les plaisirs du monde, ses frivolités et ses dé irs, ne pouvaient l’arracher à l’idée de s’instruire. Quand le monde entier, pour ainsi dire, donne le spectacle de la plus déplorable apathie pour ces études, quand la sagesse ne sait plus où poser le pied, je ne dirai pas chez le sexe féminin, d’où elle est entière- ment bannie, mais dans l’esprit même des hommes, vous, par le transport de votre zèle, vous vous êtes élevée au-dessus de toutes les femmes, et il est peu d’hommes que vous n’ayez surpassés.

Plus tard, quand, selon les paroles de l’Apôtre, il plut à celui qui vous avait mise à part dès le sein de votre mère de vous appeler à lui par sa grâce, vous avez dirigé vos études dans une voie meilleure ; femme vrai- ment philosophe, vous avez laissé la logique pour l’Évangile, la physique pour l’Apôtre, Platon pour le Christ, l’Académie pour le cloître.

Vous avez enlevé les dépouilles de l’ennemi vaincu, et, traversant les déserts de ce pèlerinage avec les trésors de l’Egypte, vous avez élevé à Dieu dans votre cœur un précieux tabernacle. Pharaon englouti, vous avez chanté avec Marie le cantique de louanges ; et, comme elle autrefois, portant dans vos mains le tambour de la bienheureuse mortification, vous avez envoyé jusqu’aux oreilles mêmes de la Divinité les harmonies d’une hymne nou- velle. Vous avez foulé dès les premiers pas, et avec la grâce du Tout-Puis- sant, vous écraserez, tout h fait, en persévérant dans cette marche, la tète du serpent, l’antique et implacable ennemi de la femme ; vous la briserez si bien qu’il ne pourra plus désormais élever contre vous ses sifflements. Vous faites et vous ferez un monstre de ce superbe prince du monde ; et celui que h parole divine appelle le roi des fils de l’orgueil, selon les paroles mêmes de Dieu au saint homme Job, vous le réduirez à gémir enchaîné à vous et aux servantes du Seigneur qui habitent avec vous.

Miracle vraiment unique et qu’il faut élever au-dessus de toutes les œuvres les plus merveilleuses ! Celui dont le prophète a dit que les cèdres