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Maud avait été longuement s’agenouiller devant le chœur de l’église Saint-Nicolas…


C’est elle qui est là-bas, au fond du jardin, à moitié assise sur un petit mur, et écoutant Raibaud debout devant elle, tandis qu’à l’autre extrémité, assis l’un près de l’autre et la main dans la main, Miss Strawford et Harry Simpson regardent silencieusement le soleil disparaître à l’horizon dans un flamboiement d’apothéose, et que, dans l’espace libre qui sert de cour — et au besoin de court — Norberat et Thérèse Aramond se livrent à une bruyante partie de raquette.

— Répondez-moi, Maud… dit Raibaud. Pourquoi ne me répondez-vous pas ? Vous ne pouvez douter de ma sincérité. Si j’ai tant tardé à parler, c’est que j’ai voulu prendre le temps de réfléchir, afin d’être bien certain de voir clair en moi. Longtemps — car dans la situation où nous sommes la franchise s’impose, — longtemps j’avais pu croire que c’était une autre que j’aimais en vous. Et puis j’ai revu cette autre près de celui qu’elle aimait, et je n’ai éprouvé aucun trouble ; près d’elle, c’est à vous que je pensais, à vous qui alors étiez mourante, que j’avais vue délirante, et qui ne m’aviez pas reconnu… Jours angoissés… Jours les plus douloureux de ma vie… Certes, j’avais le devoir d’agir auparavant vis-à-vis de vous ainsi que je l’avais fait. Mais c’est trop brutalement que j’avais repoussé votre tendresse. Tout en étant aussi ferme, j’eusse dû me montrer moins rude, moins distant, moins orgueilleux… J’eusse dû vous expliquer, vous éclairer, vous guider, au besoin… Si vous étiez morte, Maud, ajouta le jeune homme, ma vie n’eût plus été qu’un éternel remords ; et tant que votre existence a été en danger, vous le savez à présent, je n’ai pu me décider à quitter Mouzonville…

Maud écoutait, le front penché, en jouant pensivement avec quelques pervenches qu’elle venait de cueillir, bleues comme ses yeux, dont les paupières baissées palpitaient doucement. Son visage encore amaigri était devenu tout rose, et la brise expirante faisait parfois voltiger ses cheveux blonds.

— Maud, répondez-moi. Parlez-moi. Pourquoi vous taisez-vous ?

Enfin, les lèvres de la jeune femme s’entr’ouvrirent. Et, sans lever les yeux :

— Je fus une coupable… une bien grande coupable… murmura Maud.

— Mais vous avez réparé et expié héroïquement… Oh ! Maud ! si vous saviez quel est à présent pour vous l’attachement, l’estime, le respect de tous… Si vous connaissiez surtout la profondeur de la tendresse que j’éprouve pour vous…

Raibaud se tait et attend. Mais Maud est redevenue muette…

— Pendant des mois, j’avais fait un rêve, un rêve que longtemps j’avais cru impossible. Et maintenant je puis le vivre, ce rêve splendide. Je puis le vivre avec vous, Maud… Oh ! vivre ensemble notre vie comme un rêve, la main dans la main…

La nuit descend. L’ombre commence à envahir la vallée, tandis que des Angélus lointains résonnent encore, affaiblis et comme attardés, sous le ciel dont l’azur s’assombrit.

Mais Maud ne répond toujours pas. Et Raibaud se tait, le cœur serré par