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Jusque-là, malgré les révélations de Maud, Miss Strawford s’était refusée à croire à la trahison d’Edith, sa plus vieille amie, qu’elle avait toujours chérie comme une sœur. Mais l’attitude de celle-ci, et surtout les affreuses paroles qu’elle venait de prononcer, ne permettaient plus le doute, et, en cet instant, la pauvre Mary éprouva un des plus douloureux chagrins de sa vie.

— Pourquoi êtes-vous devenue mon ennemie ? demanda-t-elle, se décidant enfin à parler.

Edith eut un geste d’impatience.

— Il ne s’agit pas de cela. Venez, ou je vous entraîne de force.

— Qu’est-ce que je vous ai fait ? dit encore Mary.

— Oui ou non, voulez-vous venir ? s’écria Miss Ligget en frappant du pied.

De nouveau, la pauvre Mary regarda autour d’elle. Mais quel secours attendre en cette solitude inconnue, que peuplaient seuls le tumultueux grondement de l’eau s’enfuyant sous le pont et le murmure puissant des grands arbres agités par le vent ? Seule… Elle était seule en présence de cette ennemie, dont la haine exaspérée doublait les forces, et contre laquelle il lui serait impossible de lutter.

Du reste, la pensée d’un échange de violences brutales répugnait à la nature délicate de la douce Mary, et le sentiment qu’elle éprouvait tenait plutôt d’une douloureuse stupeur que d’un véritable effroi. Les événements se succédaient si vite, d’ailleurs, qu’elle avait à peine le temps de penser.

Comme elle ne bougeait pas, Edith s’approcha d’elle, et lui prenant le bras, voulut l’entraîner.

Mais, d’un mouvement brusque, Mary se dégagea :

— Je ne vous suivrai pas…

— Vous ne me suivrez pas ? répéta Edith les dents serrées, en la saisissant de nouveau par le bras et en l’attirant à elle.

Mary parvint encore à se dégager. Un arbre se trouvait là, tout près. Instinctivement, elle s’y cramponna.

La saisissant alors à bras-le-corps, la belle Américaine essaya de lui faire lâcher prise. Mais ce fut en vain. Miss Strawford se cramponnait avec une énergie décuplée par l’angoisse à cet arbre qui, pour elle, représentait le salut.

— Ah ! tu ne veux pas me suivre ?… gronda à la fin Edith hors d’elle. Eh bien ! tu vas mourir… Tu entends, Mary ? Tu vas mourir. Aussi bien, tu étais condamnée, quelques heures seulement te séparaient de ta fin, ou plutôt du commencement de ta fin. Maintenant, ce ne sont plus des heures, mais des secondes. Tu vas mourir, Mary… Tu vas mourir…

Elle s’était approchée, étendant vers sa victime des mains crispées. Et en voyant près du sien ce visage convulsé, la pauvre Mary frissonna, comprenant qu’elle était perdue.

— Tu vas mourir. C’est cette rivière qui te servira de tombeau. D’ici quelques jours, ou quelques semaines, peu importe, on retrouvera ta dépouille accrochée quelque part aux racines d’un saule, ou reposant au milieu des roseaux. Pour nous, le résultat sera le même, car rien de plus aisé que de mettre la chose sur le compte d’un accident. Tu vas mourir… Et écoute-moi bien, Mary c’est moi qui deviendrai la femme de ton