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salubre nécessaire à son état. Bref, je pense que Madame sera ici dans une huitaine, peut-être avant. J’ajoute qu’il ne résultera pour vous de la présence de ma femme aucun surcroît de peine. Son complet rétablissement demandera en effet encore quelques mois, et jusque-là le docteur me conseille d’attacher à son service une personne qui ne devra pas la perdre de vue, et qu’il me procurera.

— Alors, Madame serait tout de même encore un peu… chose ? s’informa ingénument la mère Frossart.

— Oui et non. La mesure en question est surtout une mesure de prudence. Il y a six semaines, pour la première fois, Jeanne a semblé me reconnaître ; et pour le reste ses facultés s’améliorent de jour en jour, elle raisonne à peu près bien sur toutes choses. Dans tous les cas, il n’y a absolument rien à redouter de la pauvre chère créature, et je suis sûr que vous l’aimerez tout de suite.

— Ah ! bon… fit alors la mère Frossart, qui parut rassurée. Parce que, vous savez, si elle avait été méchante…

Sur quoi, Govaërts la pria de garder pour elle les détails pénibles qu’il venait de lui confier, et de dire simplement que sa femme relevait d’une longue maladie.

Naturellement, la mère Frossart protesta de sa discrétion ; et non moins naturellement grâce à elle toutes les commères de la place Carrière et du Putoir savaient dès le lendemain en quoi consistait la « cruelle épreuve » à laquelle Govaërts avait plusieurs fois fait allusion. La nature du malheur qui l’avait frappé et les circonstances romanesques dans lesquelles ce malheur était arrivé ne firent d’ailleurs qu’augmenter la sympathie qu’on commençait à éprouver pour lui.

Quoi qu’il en fût, à Mon-Espoir on se mit en devoir de faire les préparatifs nécessaires.

Deux des pièces du premier étage furent mises en état.

Ces deux pièces communiquaient entre elles, et l’on ne pouvait accéder à l’une, qu’on appelait celle du fond, qu’en passant dans l’autre, la première en arrivant du couloir, sur lequel elle s’ouvrait directement.

Cette première pièce, éclairée par une fenêtre qui donnait du côté du chemin, fut réservée à la personne qui devait garder la malade, et être pour celle-ci une femme de chambre en même temps qu’une surveillante.

La chambre du fond, un peu plus grande, était destinée à la jeune Mme Govaërts. De cette chambre, on avait une vue agréable, sur la vallée et les Crans. Govaërts en fit remettre en état la fenêtre et remplacer les persiennes en bois à moitié vermoulues par de solides persiennes en fer, auxquelles il fit ajouter un dispositif de son cru, d’ailleurs très simple, permettant de les cadenasser à volonté.

— De la sorte, expliqua-t-il, en certaines circonstances et notamment la nuit, il sera possible de laisser seule la malade, sans redouter une fugue.

Quoique confortable, en somme, l’ameublement de cette pièce était plutôt simple : un lit de coin, un fauteuil de repos, trois sièges, un guéridon, une table, un poêle de faïence, une petite bibliothèque garnie de livres, et, derrière un paravent, une toilette. À la fenêtre, de lourds doubles rideaux.