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Une occasion d’agir inespérée, et pourtant obscurément attendue, se présentait inopinément à Maud, qui, à cet instant psychologique, eut une suprême hésitation.

Tout ce qu’il y avait en elle de bon et de compatissant la portait à agir, conjointement avec son amour pour Raibaud, et le désir passionné de sa réhabiliter aux yeux de celui qu’elle aimait. Mais, en même temps, d’autres sentiments la retenaient, la faiblesse de sa nature, la crainte de ses complices, et aussi l’égoïsme, le regret bien humain de l’existence fastueuse qui lui était promise, dont elle avait commencé à goûter les joies, et à laquelle elle allait renoncer, en désertant définitivement le parti de Sturner pour passer dans celui des défenseurs de Miss Strawford.

Mais elle crut voir devant ses yeux le grave visage de Raibaud qui la regardait d’un air de tristesse et de reproche, et, aussitôt, elle eut honte de sa lâche hésitation.

Déjà, elle s’approchait de la porte, lorsqu’une pensée l’arrêta : l’heure du dîner approchait, Miss Ligget allait certainement monter. Et il ne serait pas prudent de tenter quoi que ce fût auparavant.

Maud alla donc se rasseoir près de la cheminée. Elle ranima le feu et attendit, en mettant intérieurement au point le plan qu’elle venait de concevoir, et d’où allait dépendre non seulement le salut de Miss Strawford, mais aussi le sien ; car, dès que tout à l’heure elle aurait franchi le seuil de sa chambre, son sort serait définitivement lié à celui de la prisonnière.

Les instants s’écoulaient, et Edith n’apparaissait pas.

Maud commençait à s’impatienter et à devenir nerveuse. Si Miss Ligget ne montait qu’au tout dernier moment ? Et si, dans l’intervalle, Fredo installait quelqu’un, ou s’installait lui-même dans la pièce que venait de quitter Julie ?

Dehors, il pleuvait. On distinguait le ruissellement de l’eau au milieu du bruit des arbres agités par le vent dont en pénétrant dans la maison les grondements se transformaient en plaintes lugubres.

Maud frissonna, soudain oppressée par elle ne savait quelle angoisse imprécise. Elle se leva, fit quelques pas dans la chambre, puis alla regarder dehors à travers les vitres de la fenêtre, ce qui lui permit de constater que malgré le ciel bas et la pluie, la nuit restait claire.

Puis, l’idée vint à la jeune femme de prier.

Alors, elle s’agenouilla devant son lit, et, le front dans ses mains, chercha dans sa mémoire des bribes de ces prières qu’alors qu’elle était enfant sa mère lui avait apprises, et que depuis elle avait à peu près oubliées. Mais si imparfaite que fût dans la forme sa prière, elle pria du moins d’un cœur sincère, adjurant Dieu de lui prêter son appui, en lui promettant de redevenir croyante, et de se contenter sagement et chrétiennement de l’existence modeste qui allait redevenir la sienne.

Peu à peu, un calme intérieur apaisait sa fièvre et ses angoisses. Elle avait l’impression d’une aube se levant doucement en elle et éclairant le seuil d’une existence nouvelle.

Et comme, après avoir longuement prié, elle évoquait les chers souvenirs d’une enfance qu’elle n’avait jamais tant regrettée, elle crut voir lui apparaître le doux fantôme de sa mère qui murmurait :