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que, dégoûté de l’effort, et se trouvant d’ailleurs suffisamment riche, il avait cédée « à la suite d’une épreuve cruelle ».

Comme il n’en disait pas plus, on fut quelque temps dans Mouzonville à se demande quelle pouvait bien avoir été cette épreuve.

Tout d’abord, de l’avoir vu s’installer seul à Mon-Espoir, on l’avait cru célibataire. Mais on avait fini par repérer à son annulaire une magnifique alliance. D’autre part, par la suite, la mère Frossart affirma avoir à plusieurs reprises surpris son maître en contemplation devant une photographie qui devait être celle d’une jeune femme.

D’où l’on conclut que Govaërts avait été et était peut-être encore marié. La question était de savoir s’il avait perdu sa femme, ou s’il s’était séparé d’elle, ou elle de lui.


Les choses en étaient là lorsqu’un jour du milieu de décembre, au courrier du matin, Govaërts reçut une lettre timbrée de Paris.

Il arrivait d’ailleurs assez souvent à Mon-Espoir des lettres timbrées de Paris. Mais après avoir lu celle-là, Govaërts manifesta les symptômes d’une émotion presque joyeuse ; et, appelant la mère Frossart, il lui donna l’ordre de mettre en état deux des pièces du premier étage, en ajoutant qu’elles étaient destinées à « Madame » qui allait à arriver.

Naïvement, la mère Frossart manifesta alors sa surprise, et aussi sa curiosité. Curiosité que, complaisamment, son maître crut devoir satisfaire. Ce fut ainsi que la brave femme apprit ce qu’il en étant exactement de la situation matrimoniale de Govaërts.

Situation pénible, d’ailleurs. Car Govaërts était bien marié. Mais sa jeune femme était atteinte d’une affection nerveuse qui nécessitait son internement dans une maison de santé.

Suite d’une émotion violente, ressentie lors d’un incendie, survenu en pleine nuit, d’un hôtel où, tout nouveaux mariés, Govaërts et sa jeune femme se trouvaient, au cours de leur voyage de noces. C’était en Suisse. Pour sauver sa femme, Govaërts dut traverser les flammes en la portant dans ses bras. Lorsqu’ils furent hors de danger et qu’il la déposa à terre, elle ne le reconnaissait plus.

— Non… Jeanne ne me reconnaissait plus… répéta Govaërts. Elle me regardait d’un air effrayé en disant : « Pourquoi n’avez-vous pas sauvé Henri en même temps que moi ? Laissez-moi retourner là-haut. Je veux sauver Henri, ou mourir avec lui… » Elle se débattait, elle me repoussait, et l’ont dut le retenir de force, pour l’empêcher de se précipiter dans le brasier.

— Jésus !… dit en joignant les mains la mère Frossart apitoyée. Et il y avait longtemps que étiez marié, Monsieur ?

— À peine deux mois. Cela se passait dans le courant de l’an dernier.

— Et depuis ?

— Depuis, grâce à Dieu et aux bons soins d’un docteur de mes amis spécialisé dans le traitement des affections nerveuses, l’état de ma pauvre Jeanne s’est amélioré, et il y a déjà quelques temps que mon ami m’a fait entrevoir la possibilité de me la rendre. C’est dans cette éventualité que j’ai loué Mon-Espoir, où Jeanne trouvera l’ambiance à la fois reposante et