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Lorsque le couvert fut mis, Julie s’informa si Madame désirait se mettre à table. Et comme Miss Strawford jetait les yeux sur une pendulette qui se trouvait sur la cheminée :

— Il n’est que 5 h. 1/2, ajouta Julie. Mais Madame sait que je vais être obligée de la quitter tout à l’heure.

— C’est vrai… fit Mary en posant son livre tout ouvert sur le guéridon. Et pour combien de temps ?

— Pour deux jours.

— Servez-moi donc… dit Miss Strawford avec une sorte de lassitude.

Du couloir, en approchant son oreille du mur, on distinguait assez bien les paroles qui s’échangeaient entre les deux femmes.

Quittant alors son fauteuil, Miss Strawford alla prendre place à table et commença à manger, servie par Julie qui allait chercher les mets dans la pièce adjacente.

Miss Strawford mangeait distraitement, et, c’était visible, sans appétit. Elle absorba quelques cuillerées de potage, fourcha à peine aux hors-d’œuvre et aux légumes, prit une bouchée de viande, grignota deux gâteaux secs, le tout arrosé d’un verre d’eau rougie. Après quoi, elle repoussa son assiette d’un air las. Son repas avait à peine duré un quart d’heure.

— Madame ne mange plus ? s’informa Julie en apparaissant.

Miss Strawford secoua négativement la tête.

— Madame me permettra de lui dire qu’elle ne mange pas assez… dit alors Julie. Madame devrait manger davantage, Madame finira certainement par tomber malade, si elle ne s’alimente pas mieux.

Julie parlait avec une sollicitude respectueuse, et qui devait être sincère. On sentait, d’ailleurs, dans son attitude plus ou mieux que de la déférence. Quelle que fût cette femme, elle était donc capable de s’attacher à quelqu’un, et qui, la connaissant, ne se serait pas attaché à la douce Mary ?

Cependant, celle-ci ne répondait toujours pas à Julie. Un coude sur la la tête appuyée sur sa main, elle fixait devant elle un regard absent.

Faut-il servir tout de suite le thé de Madame ? reprit Julie.

Miss Strawford ayant fait de la tête un signe affirmatif, Julie servit le thé, remit un morceau de bois dans le poêle de faïence qu’on voyait au milieu de la chambre, et se retira dans la pièce voisine, en emportant la desserte.

Restée seule, Miss Strawford absorba distraitement sa tasse de thé, puis alla se réinstaller dans le fauteuil où, à demi étendue, elle se mit à rêver, l’air triste et las.

À la fin, elle soupira, longuement. Puis ses lèvres s’agitèrent faiblement, et elle balbutia des mots que Maud devina plutôt qu’elle n’entendit :

— Harry… Mon Harry…

Lentement, elle se redressa, et prit sur le guéridon un mouchoir avec lequel elle essuya ses yeux devenus soudain humides.


À ce moment, Maud sentit qu’on lui touchait le bras. C’était Fredo qui, se penchant vers elle, murmura à son oreille :

— Je vais aller la voir. Et surtout attention, hein ? Pas le moindre bruit…

Il s’éloigna en marchant avec précaution, et, parvenu à l’extrémité du