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— Vous lui avez parlé ?

— Je l’ai vue sans qu’elle s’en doutât, comme vous la verrez vous-même. Elle est changée, mais pas autant que je l’aurais cru ni que je l’aurais désiré… ajouta sourdement Edith.

Et elle se remit à manger en silence.


Il n’était guère plus d’une heure quand, aux aguets derrière les rideaux de la fenêtre de leur chambre, Maud et Edith virent apparaître dans le jardin Miss Strawford, suivie à une certaine distance par Julie qui portait un parapluie, car le ciel restait bas, et le temps menaçant.

Mary était nu-tête. L’on voyait parfois les boucles de ses cheveux blonds voltiger sous le souffle du vent. Du reste, on ne distinguait qu’imparfaitement son visage. Elle avait un manteau bordeaux et une légère étole de nuance grise. Elle portait des bas clairs et était chaussée de souliers à triple barrette.

Maud la regardait ardemment, le cœur oppressé d’angoisse et de remords.

Celle qu’on aurait pu appeler la captive volontaire allait lentement, le front penché, relevant la tête et s’arrêtant parfois pour regarder devant elle dans la vallée, d’un air pensif. Puis elle se remettait à marcher.

Bientôt, elle disparut derrière un bouquet d’arbres, toujours suivie de loin par Julie.

Nous allons la revoir, dit Edith. Elle fait ainsi plusieurs fois le tour de la propriété, et par conséquent de la maison.

En effet, quatre ou cinq minutes plus tard, Miss Strawford reparut, pour, au bout de quelques instants, disparaître de nouveau aux yeux des deux observatrices.

Il en fut ainsi plusieurs fois, puis la jeune fille ne reparut plus.

— Elle rentre chez elle… dit encore Edith. Écoutez plutôt.

En effet, à l’intérieur de la maison, tout près, on entendait distinctement les pas de quelqu’un montant lentement un escalier. Une voix prononça quelques paroles qu’on ne comprit pas, une porte s’ouvrit, se referma ; puis ce fut le silence.

— Encore demain, et peut-être encore après-demain… prononça alors lentement Miss Ligget. Et ce sera fini, elle ne sortira plus de sa chambre que dans un cercueil…



Maud resta seule dans sa chambre jusqu’à 5 heures, assise près de la petite cheminée où elle s’amusait distraitement à entretenir le feu.

La vue de Miss Strawford se promenant avec une sorte de morne lassitude dans ce jardin désert, où elle tournait sans fin comme le captif dans le préau d’une prison, avait déjà impressionné la jeune femme. Les paroles de Miss Ligget achevèrent de la bouleverser :

— Encore demain, et peut-être encore après-demain, et elle ne sortira plus de sa chambre que dans un cercueil…

Ainsi, rien n’était changé au plan qu’elle avait entendu communiquer par Fredo à sa complice. Et si l’on voulait agir utilement, il fallait agir avant le lendemain matin, c’est-à-dire avant leur départ pour Paris. En fait, Maud n’avait donc plus que quelques heures devant elle, et elle ne