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sentez de plus en plus souffrante, ce qui va abréger notre séjour ici. Vous comprenez ? Il est nécessaire que les domestiques ne se doutent de rien.

Jamais, au fond, Maud n’avait aimé la complice qu’on avait mise près d’elle à la fois pour la guider et pour la surveiller, et qui, maintenant, lui inspirait un invincible sentiment de répulsion. Mais manifester cette répulsion, c’eût été éveiller des soupçons dangereux ; et, d’un autre côté, si Maud voulait réellement tenter quelque chose, elle devait chercher à se renseigner. De là, nécessité pour la jeune femme de dissimuler, quoi qu’elle en eût, et de causer,

— Il y a donc des domestiques ? s’informa-t-elle.

— Trois, répondit Edith. D’abord, la personne qui sert de femme de chambre à Miss Strawford, puis le valet de chambre de Fredo. Ces deux-là sont surs, en ce qu’ils font partie de la catégorie de ce que Sturner appelle les complices subalternes. Ce sont, pour la plupart, des gens qui ont dans leur vie quelque tare infamante, ou une « histoire », une grosse faute, voire un crime insoupçonnés. On les tient par là, comme sous une épée de Damoclès. Du reste, le service qu’on leur demande est généralement facile, et on les paye bien.

— De sorte que les deux domestiques en question sont dans le secret ?

— Non. On ne leur dévoile que ce qu’il est absolument impossible de leur cacher. Tous deux savent, ou plutôt doivent deviner qu’il se passe ici quelque chose d’anormal, mais ils ignorent et ignoreront toujours le principe et le but de l’intrigue. Quant à la troisième domestique, une cuisinière, c’est une femme du pays, qui n’est au courant de rien, et qui se croit de bonne foi au service d’un maître parfaitement honorable. Ceci pour vous expliquer pourquoi ni l’un ni l’autre des domestiques ne doivent voir votre visage.

Maud profita de ce que Miss Ligget semblait disposée à causer pour obtenir d’elle certains renseignements concernant notamment le d’existence de la prisonnière et la topographie des lieux. Elle apprit ainsi que la chambre de Miss Strawford se trouvait au premier étage, juste en face de celle où l’on déjeunait, dont elle n’était séparée que par la largeur du couloir. Mais l’on n’y accédait pas directement. Pour y pénétrer, on devait passer dans une autre pièce où se trouvait habituellement de jour et où couchait la nuit la femme attachée au service de la prisonnière. D’autre part, la fenêtre de la chambre de Miss Strawford était munie de persiennes métalliques que l’on cadenassait solidement pour la nuit, de sorte qu’en fait cette chambre constituait une véritable prison.

Donc, il ne fallait pas songer à entrer en communication avec la prisonnière, pas plus qu’à profiter de la nuit pour faire évader celle-ci par la fenêtre de sa chambre. Devant Maud, les difficultés s’accumulaient ; et néanmoins la jeune femme s’obstinait dans sa volonté de tenter quelque chose. Mais quoi ?

— Et… vous l’avez vue ? finit-elle par interroger.

— Qui ?

— Miss Strawford.

— Plusieurs fois déjà… répondit la belle Américaine, dont le visage se durcit.