Page:Abel Sibrès - Maud.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Avec tout cela, j’ignore encore comment elle mourra.

Ce ne fut qu’au bout de quelques secondes que Fredo demanda :

— Sturner ne vous l’a pas dit ?

— Il a parlé de maladie, je crois…

Fredo devait hésiter, car ce ne fut de nouveau qu’au bout de quelques secondes qu’il répondit :

— Au point où nous en sommes, il n’y a plus d’inconvénients à vous mettre au courant de la chose. Il s’agit d’ailleurs d’une idée à moi, et dont je suis assez fier. Il est nécessaire, vous vous en rendez compte, que sa mort n’inspire absolument aucun soupçon. Donc impossible de songer à un trépas accidentel, encore bien moins aux apparences d’un suicide.

— Alors ? interrogea Miss Ligget, tandis que Maud écoutait anxieusement.

— Alors, comme vous l’a dit Sturner, elle succombera tout prosaïquement, et en apparence tout naturellement, aux suites d’une maladie.

— D’une maladie ?

— D’une maladie authentique, parfaitement. Vous savez que l’étude de la chimie m’a toujours intéressé. Puis j’ai fini par me spécialiser dans la microbiologie. Bref, dans la pièce qui là-bas me sert de laboratoire, je cultive amoureusement plusieurs variétés de microbes, que je cherche à perfectionner, ou, si vous préférez, à rendre plus malfaisants encore que naturels.

— C’est possible ?

— En matière de science, tout est possible, souvenez-vous-en, belle demoiselle. Une chose certaine est que la typhoïde que je communiquerai à qui vous savez sera à évolution ultra-rapide et emportera d’autant plus inévitablement la malade que présentement l’état général de celle-ci laisse plutôt à désirer.

— Comment les choses se passeront-elles  ? s’informa froidement la belle Américaine.

Le cœur serré par une angoisse encore imprécise, Maud redoubla d’attention.

— Comment les choses se passeront ? répéta Fredo. Le plus simplement du monde. Je profiterai du congé de deux jours que va prendre la personne placée près de Miss Strawford à la fois comme surveillante et femme de chambre. En l’absence de cette femme, c’est moi qui porterai ses repas à la prisonnière semi-volontaire ; ce qui me permettra d’assaisonner certains aliments, et surtout la boisson, des bacilles typhiques que vous savez, en m’entourant, naturellement, de toutes les précautions nécessaires, afin de ne pas être moi-même la victime de la maladie en question, et aussi de ne pas la répandre autour de moi.

— Ensuite ?

— La période d’incubation, je vous l’ai dit, étant considérablement abrégée, dès le surlendemain au plus tard se manifesteront les symptômes de la phase aiguë. Naturellement, je fais appeler un ou même plusieurs médecins. Comme les symptômes sont manifestes, et que, d’autre part, le ou les docteurs apprennent que depuis quelque temps — ce qui est réel — la malade était faible et languissante, dormait mal et perdait l’appétit, ils diagnostiquent avec ensemble la typhoïde et ordonnent le traitement pra-