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Jusque-là, Maud était restée silencieuse, se bornant à écouter.

Intérieurement, elle nota les deux noms qu’elle venait d’entendre.

Malgré qu’elle fût peu familiarisée encore avec la géographie de la France, elle savait que les deux localités en question se trouvaient à l’est de Paris. Donc, on allait vers l’est. La chose était utile à savoir, et deux noms qu’elle venait d’entendre pouvaient constituer par la suite des jalons précieux.

Car l’idée que son sosie allait mourir était décidément insupportable la jeune femme, qui se sentait de plus en plus décidée à tout faire pour contribuer à sauver Miss Strawford. Et, avant tout, il fallait connaître le nom de l’endroit où on la conduisait, et où se trouvait la captive.

La chose serait probablement difficile, car il était évident que, sans se défier positivement d’elle, ses complices ne la croyaient pas encore absolument sûre. À ce sujet, les réticences de Fredo et d’Edith étaient significatives ; et ce ne devait pas être sans motifs qu’on la faisait voyager en pleine nuit, et qu’on lui avait imposé d’autre part la compagnie de Miss Ligget.

Mais loin de rebuter Maud, les difficultés de la tâche ne faisaient que l’animer d’une sorte d’ardeur angoissée. La jeune femme sentait toutes ses facultés tendues vers le but à atteindre. L’idée qu’elle avait déjà réussi à arracher une victime à ses complices l’encourageait encore. Elle avait sauvé Aramond : il fallait qu’elle aidât tout au moins à sauver Miss Strawford.

La tâche lui apparaissait d’ailleurs sans risques, puisqu’il lui suffirait de chercher à savoir le nom de la localité où se trouvait la véritable Mary. Ce nom connu d’elle, le reste regarderait les amis de la prisonnière.

Oui, Miss Strawford pouvait encore être sauvée. La sensation, presque intolérable de remords et d’angoisse que jusque-là éprouvait Maud se fit moins oppressante. Et, comme Fredo lui offrait une cigarette, elle parvint même à lui sourire, en refusant :

— Merci, cela ne me dit rien ce soir.

— Vous êtes également fatiguée, Mistress ?

— Un peu, oui, je l’avoue.

— Décidément, constata Fredo après avoir allumé sa cigarette, décidément, notre voyage menace de manquer d’entrain.

Edith Ligget étouffa un autre bâillement, puis se renfonça dans son encoignure :

— Ma foi, vous voudrez bien m’excuser, mais je vais essayer de dormir.

— Moi aussi… dit Maud.

— Faites donc, Mesdames. Pour moi, je me contenterai de vous envier, car je n’ai jamais pu fermer l’œil à bord d’une auto, pas plus qu’en chemin de fer, du reste.


Le silence s’établit alors à l’intérieur du puissant véhicule, qui continua à rouler à bonne allure dans la nuit.

Miss Ligget dut s’endormir réellement.

Quant à Maud, l’eût-elle voulu qu’il lui eût été impossible de dormir. Elle ne put donc que simuler l’attitude du sommeil, se contentant d’entr’ouvrir imperceptiblement les yeux de temps à autre pour regarder