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nait insupportable : Raibaud, en effet, allait savoir, et comme il allait la mépriser !…

Et elle ne savait ce qu’elle redoutait le plus, de la crainte d’être immolée à la vengeance de ses complices, ou de celle de se voir méprisée par l’homme qu’elle aimait.


CHAPITRE XV


Miss Ligget rentra au Terminus à peine une demi-heure après Maud, qu’elle trouva dans sa chambre en train de lire.

Edith paraissait soucieuse. Ce fut distraitement qu’elle s’informa de l’emploi que Maud avait fait de son après-midi, et elle écouta à peine les explications — préparées d’avance — que lui donna la jeune femme.

Presque aussitôt, d’ailleurs, ainsi que le matin, on vint avertir Miss Ligget qu’on la demandait au téléphone, et Edith sortit précipitamment.

Lorsqu’elle revint, elle paraissait en proie à une certaine agitation, et ce fut d’une voix brève qu’elle invita Maud à s’habiller et à la suivre.

— Où ? s’informa la jeune femme, tout de suite alarmée, et se demandant si, en dépit des précautions qu’elle avait prises, ses complices ne la soupçonnaient pas d’être pour quelque chose dans le sauvetage d’Aramond.

— C’est Sturner qui nous donne rendez-vous… se borna à répondre Edith. Il a, paraît-il, une communication importante à nous faire.

Cette réponse n’expliquait rien, et n’était pas faite pour rassurer Maud, qui songea un instant à refuser d’accompagner sa complice, et à courir rue Portalis se mettre sous la protection des trois amis.

Mais la pensée de se retrouver en présence de Raibaud, qui, à présent, devait savoir, lui fut insupportable ; et, d’autre part, elle sentait qu’avant de se représenter devant Aramond, elle devait avoir au moins essayé de faire quelque chose pour le salut de la véritable Miss Strawford.

D’ailleurs, Edith ne se doutait certainement pas qu’elle avait été « filée ». Et, pour le sauvetage d’Aramond, Maud était absolument certaine de ne pas avoir été vue, la route étant déserte à ce moment-là. D’autre part, une fois rentrée à Paris avec Aramond, profitant d’un embarras de véhicules, elle avait eu la chance de pouvoir changer de taxi sans être aperçue de quiconque.

Bref, Maud finit par se décider à suivre Miss Ligget, à laquelle elle se borna à demander à quel endroit les attendait Sturner.

— Vous le verrez bien… répondit l’Américaine.

Il allait être 6 heures. La nuit était venue. En sortant du Terminus, on suivit la rue Saint-Lazare jusqu’à son extrémité.

À l’angle de la rue de Londres et de la rue de Clichy, une luxueuse limousine était arrêtée le long du trottoir. Sans hésitation, Edith en ouvrit la portière, poussa Maud à l’intérieur et monta à sa suite.

La portière à peine refermée, l’auto démarra.

L’intérieur en était éclairé, ce qui permit à Maud de voir assis devant elle un homme en qui elle reconnut Sturner.

Tout de suite, d’ailleurs, elle fut rassurée : son ancien fiancé lui souriait, de son sourire froid et hautain.