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cieuse comédie, elle ne songeait qu’à jouer de son mieux un rôle difficile. Sa fausse idylle avec Sturner avait été pour elle une expérience sentimentale qu’elle croyait définitive ; et elle était persuadée qu’en tant que sentiment sincère et désintéressé, capable à l’occasion de rendre meilleur, l’amour constituait un idéal inaccessible.

Aussi, lorsque Sturner lui avait dit : « Vous savez ce qu’il a été convenu pour Simpson ? N’allez pas vous enticher de lui, Edith Ligget se le réserve… » Maud s’était bornée à sourire, en haussant les épaules. Sous ce rapport, elle se sentait si sûre d’elle, dans son égoïsme, dans sa fièvre de cupidité et de jouissance, dans sa volonté de tout faire pour réussir…

De fait, elle vit Simpson, pourtant au moins aussi beau physiquement que Sturner, sans être le moins du monde troublée, et ce fut avec la plus absolue tranquillité qu’elle commença à jouer près de lui son rôle de fiancée.

Et puis, l’on s’était rendu rue Portalis, et elle avait vu Raibaud, elle n’avait même vu que lui.

Physiquement, Raibaud était peut-être moins bien que Sturner ou Simpson. Mais plus sympathique que celle du premier, sa beauté était aussi plus expressive que celle du second. D’autre part, tout de suite, Maud avait senti en lui une conscience et un caractère. Confusément, elle avait eu alors la révélation de ce que devait être le véritable amour qu’elle ignorait encore, celui où la beauté morale de l’être aimé exerce attraction au moins égale à celle de la beauté physique, et qui, procédant des aspirations les plus élevées, finit par mettre en jeu les plus nobles sentiments.

Mais sur le moment, ces choses ne furent qu’entrevues par Maud, qui ne comprit pas tout d’abord combien était grande la différence qui moralement séparait Raibaud de tous ceux que la jeune femme avait connus jusqu’alors. Certes, elle se rendait compte que le docteur n’était pas une nature commune. Mais elle ne sut pas résister à l’entraînement de ses sentiments, manqua de réserve, et finit par indisposer contre elle un homme qui, pourtant, n’était que trop porté à l’aimer.

Le jour où elle comprit son erreur, elle se rendit également compte qu’elle se trouvait dans une situation sans issue. Car, comment persuader Raibaud qu’elle n’avait jamais aimé que lui tant qu’il la croirait la véri- table Miss Strawford ? Et impossible de détromper le jeune homme sans risquer non seulement sa nouvelle fortune, mais sa vie ; car dévoiler la vérité, ce serait trahir, et Sturner n’était pas homme à pardonner une trahison.

Ce fut alors que, maudissant cet amour importun, elle avait essayé de s’étourdir et d’oublier, en se jetant dans le tourbillon des plaisirs parisiens. En vain, d’ailleurs : toujours et partout, l’image de Raibaud la suivait. Elle finit par abandonner l’espoir de vaincre et d’oublier, et revint rue Portalis, résignée à souffrir sans espoir, et à se contenter pour tout bonheur de voir Raibaud de temps en temps.

Du reste, elle n’en persistait pas moins dans sa complicité volontaire, Même malheureuse, il lui semblait impossible de renoncer à ses rêves de richesse et de jouissance. Au contraire, dans son inconsciente amoralité, elle estimait que ceci seul pouvait la consoler de cela. Et puis, déjà, elle