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projeté. Dans ce but, Miss Ligget se chargea de faire absorber de temps a autre à son amie, sans que celle-ci pût s’en douter, quelques gouttes d’une drogue qui, sans compromettre positivement la santé de Mary, agissait néanmoins sur son état physique, et surtout sur son moral et sa volonté


Une fortune qui serait encore d’au moins un million de dollars. La vraie richesse… La grande vie… Paris, ses attraits, son luxe, ses plaisirs. Même dans ses rêves les plus audacieux, jamais Maud redevenu pauvre n’avait osé espérer cela.

D’ailleurs, même si elle en avait eu l’intention, elle était incapable d’opposer un refus aux sollicitations de Sturner et de l’emprise dominatrice de son ancien fiancé.

Elle céda donc, tout de suite, presque sans hésitation.

Ce ne fut qu’après avoir dit oui qu’elle songea à formuler quelques objections, notamment celle-ci :

— Devrai-je donc jouer mon rôle jusqu’au bout vis-à-vis de Simpson, c’est-à-dire l’épouser ?

Sturner s’était alors mis à rire, de son rire froid.

— Si votre future… collaboratrice Edith Ligget vous entendait, elle vous arracherait les yeux. Deux mots vont vous faire comprendre la situation, Maud : depuis son enfance, Miss Ligget aime en secret le beau Simpson — car il s’agit d’un très beau façon, vous verrez — et sans le faire voir, en veut à mort à son amie de lui avoir été préférée. En conséquence, à partir du moment où vous personnifierez Miss Strawford, il faudra commencer par vous montrer froide, puis insupportable vis-à-vis de votre fiancé, pour finalement l’amener à vous rendre votre parole. Miss Ligget ne nous prêtera son concours qu’à cette condition.

Toutefois, de ce côté, il ne faudrait pas aller trop vite en besogne, car, au début, on aurait besoin de Simpson pendant un certain temps. Avec celle de Miss Ligget, sa compagnie constituerait en effet quelque chose comme une consécration indiscutable de la personnalité officielle de la fausse Miss Strawford.

De même, après que Maud aurait pris sa place, on aurait encore besoin de la véritable Mary.

Car, pour plusieurs raisons, dont une des principales était qu’il se disait fort pressé, Sturner entendait encaisser son million de dollars à Paris même. C’était donc la moitié de la fortune de Miss Strawford qu’il faudrait faire venir d’Amérique. Et pour une opération de cette envergure, il était prudent de s’entourer de toutes les garanties de succès. En conséquence, on déciderait d’une manière ou de l’autre la véritable Miss Strawford à écrire de sa propre main à son sollicitor et à ses banquiers les instructions nécessaires, que la fausse Mary enverrait de Paris.

Entre temps, Maud s’entraînerait méthodiquement à imiter l’écriture et surtout la signature de son sosie, et au début, un accident opportun viendrait à point pour en expliquer l’imperfection, mais seulement lorsque les instructions de la véritable Mary seraient parvenues à qui de droit.


Bref, l’ingénieur apprit avec un indicible soulagement que Miss Strawford, la vraie, était encore vivante.

Mais était-ce encore pour longtemps ?