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— C’est assez… murmura-t-elle. Décidément, c’en est assez. Je ne veux plus… Je ne peux plus…

Elle répéta, avec une agitation grandissante :

— Je ne peux plus. Écoutez-moi, Monsieur Aramond. Vous êtes un honnête homme. Je sais que vous êtes un honnête homme. Mais promettez- moi le secret. Il faut me promettre le secret…

Surpris, l’ingénieur attendait, pressentant il ne savait quel coup de théâtre qui serait l’éclaircissement du mystère.

— Vous me promettez le secret, Monsieur Aramond ?

— Je promets, Miss.

— Du reste, je sais — on sait — que sans avoir rien découvert encore, vous soupçonnez depuis longtemps quelque chose. Auriez-vous fini par discerner la vérité ? Je ne sais. Dans tous les cas, cette vérité est celle-ci. Ecoutez bien, Monsieur Aramond…

— J’écoute, Miss,

— Eh bien !… Oh ! mon Dieu… s’interrompit-elle en cachant soudain dans ses mains son front empourpré, Mais il le faut… reprit-elle en relevant la tête. Il le faut, sans quoi, de complice, je deviendrais à mon tour criminelle…

Et, regardant fixement l’ingénieur, elle prononça lentement :

— Où croyez-vous que se trouve actuellement Miss Strawford ?

— Comment ?… s’écria Aramond surpris. Mais… devant moi…

Alors, la jeune fille éclata d’un rire nerveux :

— Oui… Oui… Jusqu’ici, j’ai assez bien joué mon rôle… Mais je n’en peux plus. Devant vous, je jette le masque. Car je ne suis pas Miss Strawford, Monsieur Aramond…

Aramond regardait la jeune fille, la bouche ouverte, muet de stupeur.

— Je ne suis pas Miss Strawford… répéta-t-elle. Mon véritable nom est Maud… Maud Clawbony… L’ancienne fiancée de Silas Sturner.


CHAPITRE XIII


Un sosie… Le sosie de la véritable Mary…

Comment Aramond ne s’était-il pas douté plus tôt de la vérité, de la vérité qui lui apparaissait si simple à présent, et qui, dans un coup de lumière soudain, lui expliquait tout, ou à peu près tout ?

Et, tandis que le taxi continuait à rouler vers Paris, la fausse Mary, le visage baissé, racontait son histoire, en courtes phrases hachées, par, bribes.

Elle était née à Springfield, dans l’Illinois. Fille unique, elle se souvenait avoir vu ses parents dans l’aisance. Jusqu’à seize ans, elle avait été en pension ; c’était même là qu’elle avait appris le français. Puis, son père avait fait de mauvaises affaires, s’était découragé et laissé aller. Ç'avait été la pauvreté, et la jeune fille avait dû quitter la pension et entrer dans un bureau, comme dactylo.

Dactylo, elle qui avait toujours rêvé d’être riche, afin de pouvoir goûter à tous les plaisirs et à tous les enivrements de la vie. À la pensée d’être obligée de travailler pour vivre, et de se voir condamnée à jamais à cette