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qui ne pouvait tarder, les véhicules de tous genres circulant nombreux sur cette route.

Autour de lui, une odeur d’essence se répandait, et l’ingénieur eut cette idée que le réservoir d’essence aurait pu prendre feu. Malgré lui il frissonnait à la pensée, de se voir entouré par les flammes sans pourvoir faire un mouvement pour éviter la mort, lorsqu’au tournant de la route, venant de la direction de Saint-Germain, une auto apparut, qui aussitôt stoppa. Un homme assis à côté du chauffeur sauta à terre d’un pas nerveux se dirigea rapidement vers le lieu de l’accident.

Tout de suite, l’allure de cet homme frappa Aramond, qui instinctivement essaya de se soulever pour mieux regarder.

— Par exemple ! s’écria l’homme en arrivant près du véhicule brisé L’animal s’en tire encore !…

— Merci pour l’épithète d’animal… dit froidement l’ingénieur, un peu pâle.

Car il était sûr à présent de ne pas se tromper : cette silhouette mince et nerveuse, cette figure longue et pâle aux yeux d’un gris d’acier étaient bien celle de l’inoubliable Fredo.

— Pas même blessé… dit encore celui-ci, les bras croisés. Ah ! ça, Vous êtes donc verni, vous ?

— Il paraît…

Après un premier moment d’émotion, Aramond reprenait son sang-froid. Il était immobilisé, et en apparence à la merci de son adversaire, c’est vrai. Mais sur cette route fréquentée, où d’une seconde à l’autre un véhicule ou un cycliste pouvaient surgir, Fredo ne pouvait rien contre lui. Et sans le soulagement d’avoir échappé au danger, l’ingénieur se donnait le plaisir de narguer un ennemi qu’il croyait impuissant.

Vêtu très correctement, avec une élégance sobre, le complice de Sturner semblait toujours le même singulier personnage, en toutes circonstances étonnamment maître de lui, et auquel, tout en le sentant redoutable, on ne pouvait s’empêcher de trouver un aspect sympathique.

Pour l’instant, les bras croisés, il considérait en silence Aramond, que, d’ailleurs, il ne devait pas voir. Visiblement, il réfléchissait.

Il y eut quelques secondes de silence, troublé seulement par le ronronnement ralenti du moteur de l’auto de Fredo, toujours arrêtée au milieu de la route, et dont le chauffeur restait à son volant, immobile, dans une attitude indifférente.

À la fin, le complice de Sturner sourit d’un sourire inquiétant. Et décroisant les bras :

Vous vous croyez encore pour cette fois tiré d’affaire, hein ? dit-il à Aramond.

Celui-ci ne répondit pas.

Fredo tourna la tête du côté de Saint-Germain, l’oreille tendue :

— Je ne sais quel est l’imbécile qui s’amuse à nous suivre en taxi depuis Paris. On ne l’entend pas encore, mais il ne tardera certainement pas arriver ; de sorte que nous n’avons pas le temps de causer. Je le regrette car une conversation entre nous n’aurait pas manqué d’intérêt. Sans taxi…

Il s’interrompit, tendant de nouveau l’oreille. On percevait en effet au