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— Mais pourquoi ne pas vous adresser à la police ? suggéra Aramond. Sturner est toujours sous le coup de la plainte que vous avez déposée contre lui à propos de l’affaire du Crochet, et son arrestation ne demanderait aucune formalité préalable.

Simpson secoua la tête :

— Non. Je préfère ne pas mettre la police au courant. Même j’ai regretté depuis d’avoir porté plainte. En somme, et lorsqu’on va au fond des choses, ce n’est pas sans motif que Sturner est devenu mon ennemi…

Et comme l’ingénieur se récriait :

— C’est ainsi… affirma l’Américain. Ses torts vis-à-vis de moi n’effacent pas les torts que j’ai eus vis-à-vis de lui. Certes, je regrette la lâcheté dont j’ai fait preuve, dans cette cave où nous étions bloqués ensemble, lui blessé, moi valide, lors des tout derniers combats de la grande guerre. Sincèrement, profondément, je regrette. Mais tous mes regrets ne répareront pas le mal dont je porte la responsabilité, et j’aurai toujours à me reprocher d’avoir causé le malheur de Sturner. N’est-ce pas à cause de moi, en effet, que celui-ci a perdu celle qu’il aimait, et qui, lasse de l’attendre, en a épousé un autre ? Mais vous connaissez l’histoire, Aramond. Je vous l’ai déjà racontée plusieurs fois, à vous et à vos amis…

L’ingénieur baissa affirmativement la tête. Simpson, très sombre à pré- sent, poursuivit :

— Maintenant surtout, par ce que je souffre moi-même, je comprends ce que Sturner a dû souffrir, d’avoir perdu celle qu’il aimait. Et il m’arrive souvent de penser avec remords à cette Maud dont il me parlait avec tant de passion, et à laquelle, m’assurait-il, Mary ressemblait tant…


Aramond n’écoutait plus que distraitement.

En lui s’établissait de plus en plus la conviction que non seulement Sturner, mais encore Fredo, devaient être à Paris, et qu’il se passait certainement, ou qu’il allait se passer quelque chose.

Mais quoi, encore un coup ?


CHAPITRE XI


Le lendemain, la décision d’Aramond était prise.

Moralement, il avait non seulement le droit, mais encore le devoir de chercher à voir clair dans la mystérieuse et inquiétante intrigue dont il était toujours à deviner le but.

Voilà pourquoi il se décida enfin à se rendre chez Louise, l’ancienne femme de chambre de Miss Strawford, afin de tâcher de discerner, dans une conversation avec elle, si de cette intrigue elle était complice ou victime. C’allait être le point de départ de ses investigations.

Malheureusement, rue de la Néva, une déconvenue l’attendait. Louise était sortie et ne rentrerait que tard dans la soirée. L’ingénieur ne put donc voir que les parents de la jeune fille, concierges d’un immeuble plutôt modeste, qui lui firent du reste l’impression de très braves gens, quoique leur accueil eût été empreint d’une certaine méfiance, et aux quels, par prudence, il ne crut pas devoir faire connaître son nom,