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Du reste, l’Américain prenait à peine le temps de s’asseoir. Il se disait toujours pressé ; inévitablement, Mary et Edith l’attendaient chaque fois afin qu’il les conduisit quelque part, dans les endroits où il était de bon ton de voir s’amuser les autres, voire de s’amuser soi-même.

Car Mary ne parlait plus à présent que de se distraire. Elle voulait connaître de la vie élégante de Paris tout ce qu’il est permis à une jeune fille moderne de connaître. On ne passait guère que les nuits, ou plus exactement une partie des nuits au Terminus. Tout le reste du temps, on était dehors. De jour, expositions, conférences, concerts, thés ; et le soir, théâtre, cinéma, voire même dancing… Une existence tourbillonnante, dans laquelle il n’y avait plus d’intimité possible.

Et c’était Miss Strawford qui, inlassablement, menait le train. Bien qu’on sentit que cette existence devait lui plaire, Edith Ligget ne semblait suivre qu’à regret, avec une sorte d’inquiétude. Quant à Simpson, il n’avait encore fait aucune observation à sa fiancée, aux caprices de laquelle il se pliait sinon avec empressement, du moins avec docilité. Mais on aurait pu discerner parfois dans son attitude quelque chose comme une réprobation muette, et, maintenant, lorsqu’il venait rue Portalis, il paraissait soucieux et attristé.

Pour Raibaud, il croyait discerner le pourquoi du nouveau genre de vie adopté par Mary. Celle-ci cherchait à s’étourdir. Peut-être également pensait-elle ainsi punir le docteur d’avoir repoussé sa tendresse.

Quels que fussent d’ailleurs les mobiles auxquels elle obéissait, Raibaud lui en voulait de plus en plus de s’avérer si différente de l’ancienne Mary, si simple, si douce, si modeste, si pieuse surtout. Piété, modestie, douceur, simplicité, tout cela semblait avoir été balayé par l’orage qui bouleversait cette âme.

Alors qu’autrefois la jeune fille n’eût pas passé devant une église sans y entrer, Mary, depuis son arrivée à Paris, avait assisté juste deux fois à la messe dominicale. Maintenant, elle laissait son fiancé se rendre seul le dimanche à Saint-Augustin, sans l’accompagner.

De même, autrefois, sans dédaigner les distractions honnêtes, jamais Mary n’eût montré un tel attrait pour le plaisir. Dans tous les cas, elle se fût gardée de fréquenter certains établissements équivoques, ou de s’exposer aux suggestions malsaines de certains spectacles, fût-ce pour s’étourdir, et essayer d’oublier une déconvenue sentimentale.

Bref, aux yeux de Raibaud, il s’agissait presque d’une déchéance. Après avoir décliné dans sa tendresse, Mary, maintenant, commençait à baisser dans son estime. Il pensait à elle avec une rancune mêlée d’un peu de pitié. Dans tous les cas, du moins le croyait-il, il était bien près de ne plus l’aimer.


Un matin, Simpson se présenta rue Portalis chargé d’une communication de sa fiancée pour Raibaud.

Miss Strawford s’inquiétait un peu du fait que la suppuration de son doigt opéré se prolongeait, et désirait voir le docteur à ce sujet. Un peu souffrante, elle ne pouvait sortir, et faisait demander si M. Raibaud consentirait à venir lui-même au Terminus dans le courant de l’après-midi.

Au trouble qu’il éprouva à cette communication, Raibaud comprit qu’il