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— Aucun inconvénient, au contraire. J’aime beaucoup Paris, moi aussi.

— Voilà pourquoi je songeais à acheter ici une maison. Cela ne vous plairait pas d’avoir un home à Paris, Harry ?

L’Américain affirma que cela lui plairait beaucoup.

— Eh bien ! je ne tarderai pas à m’occuper de la chose, reprit Miss Strawford. Mais avant tout, il faut que je m’assure si je possède suffisamment de fonds à la banque. Du reste, à ce qu’on m’assure, il n’y aurait nul inconvénient à ce qu’une partie de ma fortune fût déposée ici. Il paraît qu’on y peut faire travailler l’argent au moins aussi fructueusement et avec autant de sécurité que de l’autre côté de l’Atlantique. Est-ce aussi votre avis, Monsieur le businessman ?

— Oui… répondit Simpson. Mais à condition de laisser votre argent, ou du moins la plus grande partie de cet argent en dollars.

— Naturellement. Eh bien ! conclut Miss Strawford, je vais m’occuper au plus tôt de toutes ces choses ennuyeuses, afin de n’avoir plus à y penser.

Aramond n’avait pas perdu un mot de cette conversation, car Mary s’était exprimée en français et à haute voix, à si haute voix même que l’ingénieur finit par se demander si elle n’avait pas un intérêt quelconque à ce qu’on connût autour d’elle les intentions qu’elle venait de manifester.

— Mais à quoi vais-je penser ? se dit aussitôt Aramond. Qu’y a-t-il de suspect, ou seulement d’étonnant, dans le fait que Miss Strawford s’occupe de l’administration de sa fortune, et entretienne son fiancé de ses projets à ce sujet ? Décidément, je « déraille », et dans tous les cas me mêle de ce qui ne me regarde pas, Simpson ayant seul qualité pour s’occuper de ce que fait ou ne fait pas sa fiancée. Que tous deux se débrouillent ! Moi je ne m’en mêle plus…


CHAPITRE VII


Cependant, et quoi qu’il en eût, l’ingénieur ne parvenait pas à se désintéresser tout à fait des faits et gestes de Miss Strawford et de son amie.

Au fond, tout au fond de lui-même, un sentiment de défiance et de soupçon subsistait, l’idée irraisonnée et tenace qu’il devait y avoir « quelque chose ».

— Si j’allais voir Louise ? se demandait-il parfois.

Car il n’entendait plus parler de l’ancienne femme de chambre de Miss Strawford. Il n’en était pas plus question que si elle n’avait jamais existé. Depuis le retour de Louise, qui datait déjà d’une bonne quinzaine, pas une fois Aramond n’avait entendu son nom prononcé devant lui par Miss Strawford ou Miss Ligget, ni même par Simpson.

Or, l’ingénieur connaissait l’adresse de la jeune fille, ou, tout au moins, le nom de la rue où demeuraient ses parents : rue de la Néva. Peut-être pourrait-elle lui apprendre quelque chose d’intéressant, sinon de nouveau ; et, d’autre part, Aramond sentait qu’il reverrait avec plaisir le joli visage sérieux et les yeux noirs de cette enfant pour laquelle il avait toujours éprouvé une instinctive sympathie.