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haute et puissants, faite de mille bruits. Et de-ci, de-là, dans le jour déclinant, scintillaient déjà des lumières, ainsi que des étoiles pâles, tandis que les vitrines des somptueux magasins commençaient à éblouir les passants de leur resplendissement tentateur.

— Oh ! Paris… murmura Miss Ligget d’un ton indéfinissable où il y avait l’on ne savait quelle convoitise mêlée d’envie et de regret.

Miss Strawford ne disait rien. Toujours au bras de son amie, elle regardait intensément, son doux visage un peu crispé, les yeux brillants lorsque, soudain, Aramond la vit tressaillir en tournant la tête.

Un homme très élégamment mis et qui marchait d’un pas pressé avait en la dépassant, légèrement bousculé Miss Ligget. Sans s’arrêter, il porta aussitôt la main à son chapeau en prononçant à mi-voix des paroles rapides qui ne pouvaient évidemment être que des excuses ; puis, s’éloignant il disparut bientôt dans la foule.

Les paroles de ce passant si pressé, l’ingénieur n’avait pu les entendre. Il n’avait même pas eu le temps de voir son visage. Mais la silhouette et surtout la démarche de cet homme l’avaient frappé : elles lui rappelaient la démarche et la silhouette de Fredo, le complice de Sturner.


En arrivant près des deux jeunes filles, Simpson leur proposa de prendre une voiture, proposition que Miss Strawford déclina en disant que ce n’était qu’à pied qu’on pouvait réellement apprendre à connaître Paris.

Du reste, avant de rentrer au Terminus, elle devait passer chez son oncle, à la rue Balzac, laquelle était relativement proche.

On rentra donc à pied.

Miss Strawford avait pris le bras de son fiancé, et, tout en marchant, elle expliquait à celui-ci qu’elle avait à demander à son oncle, en sa qualité d’ancien tuteur, certains renseignements relatifs à l’administration de sa fortune.

— En me rendant ses comptes de tutelle, mon oncle, vous le savez, a manifesté énergiquement son intention de me laisser débrouiller seule ; et il y a encore si peu de temps que je suis légalement ma maîtresse en tout que j’ai encore mille peines à m’y reconnaître. Croiriez-vous que j’ignore ce qui me reste exactement en dépôt ici, à la Banque franco- américaine ? Vous y avez également des fonds, n’est-ce pas, Harry ?

— Quelques milliers de dollars, oui..

— Il faudra que vous m’y conduisiez ces jours-ci, afin de me présenter au directeur. Vous voudrez bien aussi m’initier théoriquement aux diverses opérations financières que je pourrai avoir à effectuer, afin qu’à l’occasion je ne paraisse pas trop gauche. N’est-ce pas, mon cher Harry ?

— Tout à votre disposition, chérie.

— Si je vous parle de ces choses, Harry, c’est que j’ai envie de faire une folie. Vous savez qu’en somme je ne suis qu’à moitié Américaine Or, voilà que je me découvre de plus en plus Française, ou, plus exactement, Parisienne. Je ne puis vous demander de quitter l’Amérique, que vous regretteriez, n’est-il pas vrai ?

It’s m’y country… répondit en anglais Simpson, avec un laconisme éloquent. (C’est ma patrie.)

— Mais je pense qu’une fois mariés vous ne verriez pas d’inconvénients à ce que nous venions souvent à Paris ?