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plus intimes ? Toujours était-il que la Mary languissante, dont l’état affectait tant le pauvre Simpson, avait fait place à une Mary sinon plus gaie, du moins plus active, plus vivante, et reprenant goût à l’existence.

Bien qu’elle y eût vécu plusieurs mois avec son oncle, on le sait, Paris semblait beaucoup l’intéresser, au point qu’elle pouvait parfois donner l’impression de s’y trouver pour la première fois.

— C’est qu’avec mon oncle, expliquait-elle, je sortais si peu, suivant presque toujours le même itinéraire, qu’en fait Paris m’était resté inconnu.

Et tous les jours, ou plus exactement tous les après-midi, c’étaient de véritables excursions à travers la capitale. On eût dit une petite caravane, composée de Miss Strawford et de son fiancé, de l’inévitable Edith Ligget, du trio des orphelins et enfin de Thérèse Aramond.

Au cours de ces excursions, Aramond continuait naturellement à augmenter son stock de remarques et d’observations personnelles.

D’abord, il n’était plus douteux que sa sœur Thérèse et son ami Norberat éprouvaient un plaisir de plus en plus vif à se trouver ensemble.

Cela, c’était le côté satisfaisant de la situation.

Mais l’ingénieur trouvait moins satisfaisant le fait que Miss Strawford manifestait décidément pour Raibaud une préférence marquée, tandis qu’elle paraissait négliger quelque peu son fiancé.

L’attitude adoptée par Edith Ligget vis-à-vis de Thérèse, qu’elle accablait de manifestations d’amitié, et de lui-même, ne plaisait pas davantage à Aramond. Trop aimable, décidément, la belle Américaine, pour l’ours mal léché que, par genre, il affectait d’être vis-à-vis des gens qu’il n’aimait pas ou qu’il n’aimait qu’à demi.

Miss Ligget sentait-elle en lui un adversaire éventuel, d’avance sur ses gardes ? L’ingénieur n’aimait pas la façon dont le considérait l’amie de Miss Strawford lorsqu’elle ne se croyait pas observée, d’un regard soudainement assombri, tandis que se crispait un peu son beau visage, et qu’entre les lèvres rouges apparaissaient les petites dents blanches et aiguës.


Cet après-midi-là, on avait été au Rois, par l’Etoile.

La caravane était au complet, sauf Thérèse Aramond qui, un peu souffrante, était restée à la maison.

Comme il faisait beau une journée froide, mais ensoleillée, de janvier — on avait fait à pied le tour des lacs ; puis, Miss Strawford s’étant déclarée un peu lasse, on avait été se reposer au Rond-Royal ; après quoi, l’on s’était mis en devoir de regagner Paris par l’allée de Longchamp.

En sortant du Rond-Royal, Edith Ligget avait pris le bras de Miss Strawford, avec laquelle, en riant, elle était partie en avant, sous prétexte de « récupérer », pour elle seule, son amie pendant quelques instants.

Après avoir franchi la porte de Neuilly, les deux jeunes filles s’arrêtèrent, attendant leurs compagnons.

Devant elles s’étendait l’avenue de la Grande-Armée, droite, large, grandiose, qui semblait s’allonger à l’infini, avec, au loin, devinée plutôt qu’entrevue dans le crépuscule, la masse imposante de l’Arc de Triomphe.

Entre les larges trottoirs bordés d’immeubles luxueux, les véhicules se croisaient, innombrables, dans un défilé incessant, au milieu d’une rumeur