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CHAPITRE IV


— Il faut que je me renseigne sur cette Miss Ligget… pensa Aramond, lorsque les visiteurs se furent retirés.

Simpson était capable de le renseigner. Mais quand pourrait-il se trouver seul avec l’Américain ? Heureusement, l’oncle de Mary était de retour, et l’on pourrait également tirer de lui des renseignements utiles.

Du reste, et jusqu’à nouvel ordre du moins, Aramond était décidé à garder pour lui les remarques qu’il avait faites.

Norberat et Raibaud se décidèrent sans peine à accompagner leur ami chez le professeur Degenève.

Celui-ci, on le sait, demeurait rue Balzac, où l’on se rendit à pied par l’avenue Portalis, le boulevard Haussmann et l’avenue Friedland.

Le professeur venait de rentrer après avoir fait dans Paris, avec délices, assura-t-il, son footing journalier, dont il tenait à reprendre l’habitude. Il accueillit ses trois jeunes amis avec une cordialité qu’on sentait sincère, et assura qu’il les revoyait avec beaucoup de plaisir.

— Je serais allé vous voir cet après-midi, si je n’avais su que vous deviez recevoir la visite de ma nièce et de son Simpson.

— Vous en voulez donc toujours à ce pauvre Harry, Monsieur le professeur ?

— Et comment ne lui en voudrais-je pas ? répondit en serrant les poings l’irascible Degenève, lequel n’avait décidément pas changé. Voilà bientôt trois mois qu’il aurait dû me débarrasser de ma nièce en l’épousant, et, vous le savez comme moi, la date de leur mariage n’est même pas encore fixée.

— Mais… crut devoir hasarder Aramond, qui, on s’en souvient, était le préféré de Degenève, mais ce n’est pas la faute de Simpson si sa fiancée est malade.

Il était d’ailleurs parfaitement inutile d’essayer de raisonner logiquement avec un original aussi violent et aussi passionné que le professeur s’écria :

— Ils le font exprès !… Je vous dis qu’ils le font exprès, tous les deux, pour m’ennuyer et m’empêcher de travailler…

Et se calmant soudain :

— Du reste, à présent, qu’ils se marient, qu’ils ne se marient pas, cela m’est égal : ma nièce est émancipée, elle est devenue libre de disposer de sa personne comme de ses biens. Ayant cessé d’être son tuteur, je n’ai plus à contrôler ses actions, et lorsqu’ils se seront enfin décidés à le faire, elle et son Simpson se marieront sans moi, car du diable si l’on me revoit jamais dans leur infernal Pittsburg !…

— Vous ne vous plaisiez donc pas en Pensylvanie, Monsieur le professeur ?

— Un pays infernal, je vous dis ; noir, enfumé, tout en usines, une sorte de Ruhr américaine où l’on n’a même pas le droit d’être distrait, et où j’ai failli cent fois me faire accidentellement occire.

— Mais ne nous aviez-vous pas écrit que Miss Strawford ne demeurait pas à Pittsburg même, mais de l’autre côté de l’Alleghany, en pleine campagne ?