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qu’en sa qualité de Parisienne, et intelligente comme elle l’est, Louise finirait toujours par se débrouiller. Ayant manqué le train transatlantique, elle en prendrait un autre, voilà tout. Pour le reste, elle connaissait notre intention de descendre au Terminus, et, d’ailleurs, elle à toujours ses parents à Paris, rue de la Néva.

— À deux pas de la rue Balzac… interrompit l’avocat. Je connais. Alors ?…

— Nous n’avons pas encore vu Louise au Terminus… répondit l’Américain : et elle n’est pas davantage chez ses parents, où je me suis fait conduire en taxi avant de venir ici. De sorte que nous commençons à être inquiets, surtout Mary, très attachée, comme vous le savez, à sa femme de chambre.

Aramond qui, à son habitude, avait fort peu causé jusque-là, suggéra alors qu’il serait peut-être opportun de téléphoner à tout hasard à la police du Havre.

— C’est ce que je compte faire si, en rentrant au Terminus, nous n’avons pas de nouvelles de Louise… répondit. Simpson.


Un peu plus tard, tout le monde rejoignait au salon Miss Strawford et son amie, qui venaient d’arriver.

Ainsi que tout à l’heure, après les présentations nécessaires, l’on s’assit et l’on causa.

Mais l’on causa cette fois sans entrain, avec effort.

Les trois orphelins considéraient Mary, et peu à peu se formait en eux un sentiment qui ressemblait au désenchantement.

On sait que Miss Strawford, bien qu’ayant beaucoup de charme, et sans d’ailleurs être laide, n’était pas une beauté. Et si, en la revoyant, les jeunes gens se sentaient vaguement déçus, ce n’était point de ne pas la trouver plus jolie. Au contraire, sous ce rapport, et malgré son visage fatigué, elle leur apparaissait plutôt mieux qu’autrefois, mais pas tout à fait telle qu’ils se l’imaginaient, au cours des mois de séparation qui venaient de s’écouler.

C’était biens les mêmes cheveux d’or, le même front blanc, large, un peu bombé, les mêmes yeux couleur d’azur, la même fraîcheur de teint, la même boucle un peu grande, bref, physiquement, c’était bien la Mary d’autrefois.

Mais pourquoi cette Mary leur semblait-elle aujourd’hui moralement autre et visiblement troublée, avec quelque chose d’inquiet dans le regard ?

Du reste, ce ne fut qu’une impression. Ou plus exactement, il suffit aux jeunes gens de réfléchir pour trouver une réponse à la question qu’intérieurement ils se posaient. D’abord, Mary était malade ; et puis elle était en proie à une inquiétude croissante au sujet du sort de Louise. Et ce devait être cette inquiétude surtout qui crispait ses traits, troublait son regard, faisait parfois même trembler ses lèvres, et rendaient si rares ses paroles, prononcées avec effort, et comme avec hésitation.

Pourtant, et malgré tout, elle tint à présenter elle-même les trois orphelins à Miss Ligget :

— Les sauveurs de mon Harry, desquels je vous ai souvent parlé, ma chère Edith… prononça-t-elle en français, d’un ton un peu chantant que