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une cuisinière et une Bonne, aidées par une femme de ménage, toutes trois placées sous l’autorité directe de Thérèse Aramond.

Après la pendaison de la crémaillère, Aramond et Raibaud se mirent en devoir d’organiser, le premier le petit atelier d’expériences et le second le laboratoire qui devaient leur permettre de continuer les recherches et de poursuivre les travaux qu’ils avaient dû interrompre faute de temps, et aussi de moyens. Quant à Norberat, pour ses projets, un cabinet de travail lui suffisait, car c’était au dehors que pour arriver devait se dépenser le futur tribun.

Du reste, un certain temps fut nécessaire aux trois amis pour recouvrer leur équilibre moral compromis par leur soudain changement de situation, et s’habituer à leur nouvelle existence.

Ce fut dans cette période transitoire que les surprirent les événements dont le récit va suivre.


CHAPITRE III


C’était un dimanche de fin décembre.

Comme d’habitude, on avait été entendre la messe à Sait-Augustin, puis on s’était mis à table pour le déjeuner.

Ce déjeuner s’achevait.

Le café venait d’être servi. Comme Thérèse Aramond leur avait donné une fois pour toutes la permission de fumer devant elle, les trois jeunes gens venaient d’allumer, l’ingénieur sa bouffarde, l’avocat une cigarette, et le docteur un cigare. La conversation, qui avait été assez animée au cours du repas, languissait. Les trois amis semblaient également rêveurs ; et peut-être Raibaud se fit-il l’interprète d’une commue préoccupation en prononçant tout à coup :

— Je voudrais tout de même bien savoir ce qu’on devient à Pittsburg…

Pittsburg, on le sait, était le pays de Miss Strawford. Et depuis les événements qui ont fait l’objet de notre premier récit, on n’avait reçu d’Amérique qu’une lettre assez longue du professeur Degenève, l’oncle et le tuteur de la riche héritière, lettre dans laquelle celui-ci disait toute sa contrariété d’être retenu loin de son home beaucoup plus longtemps qu’il ne l’avait pensé, par suite du mauvais état de santé de sa nièce, dont, d’ailleurs, au dire des docteurs, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter outre mesure, mais qui n’en avait pas moins pour résultat de retarder le mariage de la jeune fille, précédemment fixé au mois d’octobre. En terminant, Degenève ajoutait que Mary et Simpson le chargeaient de leurs meilleures amitiés pour les trois jeunes gens, qu’ils espéraient bien avoir le plaisir de revoir avant la fin de l’hiver, au cours du voyage qu’au lendemain de leur mariage ils avaient l’intention de faire en France.

En son nom et en celui de ses amis, Norberat, le secrétaire du trio, avait répondu au professeur. Il y avait de cela près de semaines. Depuis, on n’avait reçu de Pittsburg aucune autre lettre.

— Peut-être va-t-elle plus mal… pensa encore tout haut Raibaud.

Lorsqu’ils étaient entre eux, en parlant de Miss Strawford, les jeunes gens ne l’appelaient que rarement par son nom. ils disaient : elle, celle