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en restant honnête, et même désintéressé. Je serais pour ma part incapable de faire la moindre bassesse pour de l’argent ; mais je ne croirais pas m’humilier en acceptant une fortune offerte de bon cœur par quelqu’un que ce don n’appauvrirait pas. Telles sont mes idées sur la question. Elle peuvent paraître terre à terre, j’en conviens. Mais encore une fois je raisonne en positif, pour qui le vulgaire von sens a encore son prix…

Bref, Aramond fit si bien qu’il réussit à convaincre Norberat. En se trouvant mis en minorité, Raibaud dut se résigner à devenir millionnaire malgré lui.

Le prince de l’acceptation étant admis, au cours d’une nouvelle discussion il fut décidé que l’on vivrait en commun, et qu’on s’installerait à Paris.

Puisqu’on était riche, en y mettant le prix, et nonobstant la crise du logement, on finirait bien par pouvoir acquérir un immeuble convenable dans lequel chacun aurait son appartement, mais où un certain nombre ; de pièces seraient réservées à l’effet de s’y retrouver ensemble aux heures de repas et de loisir.

— Adopté en principe, dit Norberat, bien qu’il faille prévoir qu’entre nous la vie en commun n’ira pas toujours sans orages. Raibaud est en effet orgueilleux, Aramond entêté, et moi susceptible. Il s’ensuivra fatalement des moments où nous aurons la tentation de nous envoyer des assiettes à la figure en guise d’arguments.

— Lorsque cette tentation nous viendra, répondit Aramond, nous n’aurons qu’à penser à la cave du Crochet[1], et ce souvenir nous rendra certainement plus indulgent les uns pour les autres.

Sur quoi Raibaud formula une autre objection : aucun des trois amis n’était marié, et pourtant, dans l’organisation projetée, une maîtresse de maison était indispensable. Où dénicherait-on une maîtresse de maison ? Faudrait-il donc qu’un des membres de l’honorable trio se dévouât pour la commodité des autres en se mariant ?

— Point… répondit Aramond. Et cette extrémité redoutable nous sera épargnée. N’ai-je pas une sœur ? Thérèse sera, je crois, la maîtresse de maison qu’il nous faut.


À cette occasion, les trois amis éprouvèrent pour la première fois, d’agréable façon, la route-puissance de l’argent. Il ne leur fallu, en effet, qu’une semaine pour dénicher, rue Portalis, à deux pas de l’église Saint-Augustin, un immeuble de trois étages, fort convenable, tout meublé, et libre de tout locataire, dont ils firent séance tenante l’acquisition, moyennant une somme fort rondelette, et où ils s’installèrent immédiatement.

On réserva tout le rez-de-chaussée pour la vie en commun.

Deux pièces du premier étage furent destinées à Mlle Aramond, et les deux autres pièces du même étage à son frère, cependant que Raibaud et Norberat se partageaient de même les quatre pièces du second.

Il restait les quatre chambres du troisième, qui furent réservées aux éventuels invités.

Enfin, les deux pièces mansardées du quatrième furent occupée par

  1. Voir les Prétendants de Miss Strawford.