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affaire : un garçon très comme il faut, certes, et pourvu d’une situation honorable, mais en somme sans fortune pourrait seulement hésiter à accepter la coquette aubaine d’un million et demi lui tombant du ciel ?

Or, et comme si leurs clients s’étaient donné le mot, à leur grand étonnement, les notaires en question reçurent la même réponse. Aramond à Nancy, Norberat à Lyon et Raibaud à Rouen répondirent :

— Je vous remercie, Maître. Mais, avant d’accepter, je demande à réfléchir.


Voilà pourquoi, certain après-midi de septembre, du bureau même de la Générale où il avait repris son poste d’ingénieur, le Nancéen Aramond téléphonait au Lyonnais Norberat :

— Allô ! C’est bien toi, Norberat ?

— En personne, vieux.

— Je pense que tu as reçu comme moi la visite d’un notaire chargé de te remettre 1 500 000 francs ?

Yes ! Pardon, je voulais dire oui. Et Raibaud de même.

— Tu le sais ?

— Il m’a téléphoné il y a une heure.

— Et l’orgueilleux Raibaud refuse ce son bien entendu ?

— C’est en effet son intention.

— Et la tienne ?

— La mienne… La mienne… répéta la voix indécise de Norberat.

— Evidemment, le donateur, ou plutôt la donatrice mystérieuse ne peut être que Miss Strawford.

— Ce n’est pas douteux.

— Alors ?

— Si je n’écoutais que mon amour-propre, je refuserais. Mais il est certain qu’en refusant nous ferions de la peine au donateur mystérieux, quel qu’il soit. Et puis, à parler franchement, un million et demi, c’est tentant, même à une époque où à New-York, à Londres ou à Berne, le franc n’a plus guère que le tiers de sa valeur. Allô !… Tu es toujours là ?

— Je réfléchis.

— À quoi ?

— Il me semble que la chose vaut la peine que nous le discutions ensemble. En conséquence, je propose d’urgence une réunion de l’honorable trio.

— Où ?

— Mais je crois que Paris est tout indiqué ? Tu es d’avis ?

— Oui. Et je vais en parler à Raibaud.


Et le lendemain, les trois amis se trouvaient dans un restaurant parisien du boulevard de Strasbourg, non loin de la gare de l’Est.

On déjeuna d’abord. Puis, au dessert commença une discussion qui fut longue autant qu’animée : fallait-il ou non accepter les 1 500 000 francs ?

Raibaud était d’avis qu’il fallait refuser, Aramond penchait pour l’acceptation, Norberat restait indécis.

Nous ferons grâce à nos lecteurs de tout les arguments qui s’échangèrent, et nous bornerons à résumer le point de vue d’Aramond :