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— Je vous avertirai, Monsieur.

— Je n’ajouterai plus qu’une chose : pas trop de curiosité, pas d’indiscrétions, pas de bavardages : je ne le pardonnerais pas. En revanche, si votre service est fait comme il doit l’être, vous n aurez pas à vous plaindre de moi. Je vous autorise à vous renseigner à ce sujet près d’Émile, qui pourra vous dire comment, suivant le cas, je sais récompenser ou punir.

Ces mots prononcés avec un calme glacé parurent impressionner Julie, qui assura que Monsieur pouvait être tranquille, qu’il serait satisfait d’elle. Govaërts ne répondit pas. Il restait là, comme hésitant, en regardant la porte de l’autre côté de laquelle se trouvait sa femme. Puis il finit par demander à Julie si « elle croyait à quelque chose… »

— J’ai cru, je ne crois plus… répondit Julie, que cette question inattendue tendue parut surprendre.

Un instant encore, Govaërts resta silencieux et pensif. Puis il se décida à prendre congé de Julie, et à descendre.


Dans le couloir du rez-de-chaussée, il rencontra la mère Frossart, à laquelle il dit :

— Demain, lorsque vous vous rendrez en ville pour vos courses, il faudra songer à acheter un crucifix. Et aussi un paroissien, ajouta-t-il. Quelque chose de convenable…

Et comme la cuisinière le regardait avec un étonnement non dissimulé, car elle savait que si bon maître qu’il fût pour elle, Govaërts n’en était pas moins parfaitement incroyant :

— C’est pour Madame… expliqua-t-il. Elle n’est pas encore en état de se rendre à l’église, vous comprenez ? Alors, elle désire pouvoir prier chez elle.


CHAPITRE II


Il n’y avait pas encore un mois que Norberat, Raibaud et Aramond avaient réintégré leur home ; le premier à Lyon, le second à Rouen, et le troisième à Nancy, et ils étaient à peine remis de leurs fatigues et guéris de leurs blessures, d’ailleurs légères[1], lorsque tous trois reçurent à peu près en même temps, la visite d’un des notaires de leur localité, qui, après s’être minutieusement renseigné sur leur identité, fit à chacun des jeunes gens la même communication inattendue.

— Un donateur qui tient à rester inconnu me charge de vous remettre, Monsieur, une somme de quinze cent mille francs, en possession de laquelle vous pourrez entrer immédiatement…

Aucune autre explication. À Rouen, comme à Lyon ou à Nancy, à toutes les questions posées par chacun des jeunes-gens, l’officier ministériel répondit qu’il ne pouvait rien dire de plus. Pour le reste, la donation était régulièrement faite, et les bénéficiaires sans aucune appréhension.

Pour les officiers ministériels, cette acceptation ne pouvait d’ailleurs pas faire de doute, chacun d’eux ayant vu tout de suite à quel client il avait

  1. Voir les Prétendants de Miss Strawford