Guidées par Émile qui, sur un signe de son maître, s’était avancé, les deux femmes pénétrèrent dans la propriété, pendant que Govaërts s’approchait de la limousine en prononçant à très haute voix :
— Eh bien ! docteur, vous ne descendez pas ?
— Impossible, mon cher… répondit la voix qu’on avait déjà entendue.
— Quoi ! Vous ne me ferez même pas le plaisir de déjeuner à la maison comme c’était entendu ?
— Je regrette. Je regrette beaucoup. Mais réellement je ne puis pas, je vous assure. Il faut, en effet, que je me trouve à Paris avant 8 heures, et dois repartir tout de suite.
D’un regard rapide, Govaërts s’assura que nul ne se trouvait plus à proximité du véhicule. Puis, se penchant à l’intérieur, il se mit à causer à voix basse avec le personnage qui s’y trouvait.
Cette conversation dura deux minutes peut-être. Puis Govaërts referma la portière.
Aussitôt, le chauffeur, qui était resté sur son siège, remit le moteur en marche, et avec une habileté consommée réussit à retourner le véhicule en dépit du peu d’espace dont il disposait. Après quoi il descendit lentement le chemin en pente douce qui menait à la prairie, au milieu de laquelle il s’engagea avec précaution.
Un instant encore, Govaërts suivit des yeux le puissant véhicule ; puis, pensif, il rentra dans la propriété, dont il referma soigneusement à clé la porte grillée.
C’était une belle journée d’hiver, à peine froide, nuageuse, avec d’assez fréquente éclaircies.
Une de ces éclaircies venait de se produire ; et, debout près de Julie devant la maison la jeune Mme Govaërts regardait la campagne ensoleillée.
Devant elle, les pittoresques gradins des Crans, limitaient sa vue. À droite, c’était l’échappée de la vallée sinueuse. À gauche, enfin, la tache sombre des Marronniers, qui, à distance, semblait adossée à l’escarpement sur lequel on distinguait comme accroupi le chevet de l’église Saint-Nicolas, dont la haute flèche s’élançait hardiment dans la brume légère.
— Que dites-vous de ce point de vue, ma chère Jeanne ? dit Govaërts en s’approchant. Très pittoresque, n’est-ce pas ?
Au son de la voix de son mari, la jeune femme tressaillit, puis rougit faiblement.
— Je suis réellement fatiguée, dit-elle sans répondre, et désirerais me reposer.
— Je vais donc vous conduire chez vous.
Et comme, poussée par le démon de la curiosité et n’y tenant plus, la mère Frossart venait d’apparaître sur la porte :
— Voilà notre cuisinière… ajouta Govaërts. Un cordon bleu émérite, doublée d’une brave et honnête femme, qui ne demandera qu’à vous aimer, j’en suis sûr. N’est-ce pas, Madame Frossart ?
— Oh ! oui… répondit la bonne femme, tout de suite entraînée par une sympathie instinctive vers cette douce créature qui paraissait si triste et si malheureuse.