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La pièce précédente fut plus simplement meublée encore, et la porte faisant communiquer les deux chambres munie d’une serrure.


Ce ne fut qu’à la fin du mois — du mois de décembre — qu’un jour après déjeuner, Émile, aux aguets dans la partie du jardon formant terrasse, vint avertir laconiquement son maître de l’arrivée d’une auto.

Il s’agissait d’une puissante limousine, qui, bientôt, stoppa devant l’entrée de la propriété, où déjà Govaërts était arrivé.

La portière s’ouvrit aussitôt et une femme descendit.

Cette femme, qui paraissait âgée d’une quarantaine d’années, était d’aspect commun, en dépit d’une toilette plutôt recherchée. Elle commença par sortir de la voiture trois valises, puis offrit à l’intérieur la main à quelqu’un qui descendit.

C’était, cette fois, une toute jeune femme qui pouvait être âgée de vingt à vingt-deux ans tout au plus, blonde avec des yeux bleus, plutôt jolie que vraiment belle, mais dont le doux visage, pour l’instant empreint d’une tristesse et d’une anxiété visibles, inspirait tout de suite une instinctive sympathie. Cette jeune femme était vêtue avec élégance à la fois sobre et riche, et dès qu’il la vit Gorvaërts s’approcha vivement d’elle en s’écriant :

— Enfin, vous, ma chère Jeanne… Comment vous sentez-vous ? Vous avez fait bon voyage, j’espère ?

À l’aspect de son mari, la jeune Mme Govaërts avait eu un mouvement de recul comme instinctif, d’ailleurs aussitôt réprimé. Ce fut sans une parole qu’elle laissa Govaërts prendre sa main gantée, mais on eût pu voir trembler ses lèvres et s’empourprer légèrement son visage, pendant que, gardant affectueusement cette main dans les siennes, Govaërts poursuivait :

— Vous devez être un peu fatiguée, n’est-ce pas ? Venez… Tout es prêt pour vous recevoir. Venez, chérie… répéta-t-il.

À ce mot de chérie, le regard de la jeune femme étincela soudain, comme de colère ou d’indignation, D’un mouvement brusque, elle retira sa main d’entre celles de son mari, en même temps qu’elle jetait les yeux autour d’elle, avec, dans le regard, une expression de détresse angoissée qui faisait songer à une gazelle traquée et cherchant à fuir.

Mais son mari était tout près d’elle. La femme descendue avant elle restait à deux pas, ne la quittant pas du regard ; et de l’autre côté se trouvait la limousine, dans l’intérieur de laquelle la voix de quelqu’un qu’on ne voyait pas se fit entendre, une voix d’homme un peu gutturale et empreinte d’un léger accent étranger, semblait-il :

— Eh bien ! Madame, vous ne reconnaissez pas votre mari ?

Le ton était calme, mais impérieux, et l’on y discernait comme le frémissement d’une froide menace.

Aussitôt, le visage de la jeune femme pâlit et s’altéra. Et, levant les yeux vers Govaërts, elle s’efforça de lui sourire en balbutiant :

— Excusez-moi, mon… mon ami… Mais je suis très fatigué, et j’éprouve le besoin de me reposer…

— Je vais vous faire les honneurs de votre home, ma chère Jeanne. Mais auparavant, je désirerais saluer le docteur. Voudriez-vous, avec Madame, aller m’attendre dans le jardin ?