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au fond de mon cœur. Si j’étais une noble demoiselle, je vous dirais | Je suis à vous ; après Dieu, vous êtes mon maître et mon seigneur, car je vous aime…

Aubry voulut ressaisir sa main. Elle la retira doucement.

— Mais je ne suis qu’une vassale, reprit-elle ; je ne peux pas devenir votre femme.

— Pourquoi cela ? se récria Aubry, mon père est mort, je suis chef de ma maison…

— Je ne peux pas, répéta la jeune fille, parce que je ne veux pas susciter un fils contre sa mère.

— Ma mère consentira…

— Jamais ! prononça Jeannine en secouant la tête.

— Quand je lui dirai qu’il s’agit du bonheur de ma vie.

Le sillet se fit entendre de nouveau sous le couvert. Il chantait l’air de la ballade du Huelgoat :

Boisbriand triste et tout en pleurs
Dit à la fière suzeraine :
Je l’aime, ô ma mère, et je meurs !
« Fillette, va cueillir les fleurs, »
Que répondit la châtelaine ?

— C’est le nain maudit ! s’écria Aubry en colère.

On put entendre comme un écho étouffé de ce petit rire strident et sec que nous avons déjà ouï plusieurs fois. Puis le sifflet acheva la première strophe de la ballade :

(Fillette, va cueillir les fleurs,
 L’aubépine et la marjolaine ;)
La châtelaine
Répondit « Meurs ! »

Aubry et Jeannine savaient tous deux la poésie de la ballade. Pour eux le sifflet parlait. Jeannine rabattit son voile et se leva.

— Adieu, messier Aubry ! dit-elle.